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En direct de Vienne : 3e Conférence internationale sur l’impact des armes nucléaires Publié le 9 décembre 2014 Du 5 au 9 décembre 2014, la capitale de l‘Autriche –le seul pays au monde à avoir inscrit dans sa constitution à la fois le refus des armes nucléaires et celui des centrales nucléaires- a vécu cinq journées intenses.* ACDN avait envoyé deux délégués, Jean-Marie Matagne (France) et Peter Low (Nouvelle-Zélande), qui chaque soir ont rendu compte sur ce site, en version bilingue, des événements de la journée. Voici leurs compte-rendus : la Conférence, comme si vous y étiez. Vienne ? Un grand moment d’histoire, et peut-être un tournant dans le combat pour l’abolition des armes nucléaires. En tout cas, un formidable encouragement à poursuivre ce combat. Parole de Pape : "un monde sans armes nucléaires est VRAIMENT POSSIBLE". Vendredi 5 décembre 2014 Temps gris et froid à Vienne. L’heure est la même qu’à Paris, mais la nuit tombe vers 16h 30. Cet après-midi, précédant le Forum de la Société civile organisé par ICAN (International Campaign Against Nuclear weapons) samedi et dimanche, l’association internationale des juristes opposés aux armes nucléaires (IALANA) et la Fondation (nord-américaine) pour la paix à l’ère nucléaire (Nuclear Age Peace Foundation, NAPF) nous invitaient à une avant-première qu’il ne fallait pas manquer : des exposés ralatifs à la plainte déposée en avril 2014 devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) par le gouvernement des Iles Marshall, contre les 9 Etats dotés d’armes nucléaires – dont la France, bien entendu. C’est David contre Goliath, ou plutôt contre neuf Goliath, pas moins. (1) « Confiées » depuis 1947 aux Etats-Unis (selon un étrange statut de type « protectorat »), les Iles Marshall sont devenues un Etat de plein droit, membre à part entière des Nations-Unies depuis septembre 1991. Situées en Océanie, au nord-est de l’Australie, entre la Micronésie et les Iles Hawaï, elles comptent en tout et pour tout 70 000 habitants, dispersés sur une cinquantaine d’îles et d’atolls. L’atoll principal, Majuro, héberge la capitale, qui porte le même nom et compte 25 000 habitants (plus un aéroport international). Songez un peu : à peine l’agglomération saintaise ! Le lance-pierres manié par leur ministre des Affaires étrangères, Tony de Brum c’est la loi, la loi internationale des traités existants et la loi coutumière encadrant l’usage des armes. A Vienne, ce 5 décembre, les « procès Zéro arme nucléaire » ont été présentés : neuf plaintes déposées auprès de la Cour Internationale de Justice, plus une spécifique contre les Etats-Unis, introduite devant la Cour fédérale de Californie. Toutes accusent les Etats nucléaires d’avoir enfreint de longue date leurs obligations légales, spécialement celles contractées avec l’article VI du Traité de Non-Prolifération entré en vigueur en 1970. Tony de Brum a brièvement rappelé comment son pays a été abusé par les USA, qui y ont fait exploser 67 bombes jusqu’en 1960, dont le fameux essai "Castle Bravo" qui eut lieu sur l’atoll de Bikini le 1er mars 1954 : celui de la bombe H la plus puissante (15 mégatonnes) jamais essayée par les Etat-Unis, dont les retombées entraînèrent un vaste mouvement de protestation dans le monde entier qui finit par aboutir à l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques. La population des Îles Marshall peut être comparée aux hibakusha, les Japonais ayant survécu aux bombardements atomiques de 1945. Parmi les orateurs, David Krieger, président de NAPF, qui a joué un rôle d’incitation et de conseil dans l’initiative de la République des Îles Marshall, a souligné le fait que ce n’était pas seulement une affaire de respect de la loi. Il s’agit ni plus ni moins de la survie de l’humanité. Il a fait l’éloge des Îles Marshall, qui font preuve de vertus dont nos nations dirigeantes sont loin d’être pourvues. Capacité d’initiative, notamment. Audace et courage, aussi, car il en faut pour défier les géants à propos des promesses qu’ils ne tiennent pas, pour oser remettre en cause le statu quo, pour exiger justice et réparations pour tous. Il a loué leur sagesse, si éloignée de l’hubris, la démesure de la volonté de puissance. Ces vertus peuvent amener une conversion du cœur, nous aider à sortir du cocon de la complaisance. La complaisance est particulièrement déplacée quand les risques d’explosions nucléaires du fait d’attaques cybernétiques, d’actions armées terroristes et d’accidents sont devenus plus grands qu’ils n’ont jamais été. Les connaissances nécessaires pour fabriquer des bombes atomiques n’ont jamais été aussi faciles à trouver. Il faut absolument éliminer ces armes. Et la Cour doit édicter ses règles à propos de questions telles que celles-ci : qui décide quand un traité doit ou non s’appliquer ? Qui décide s’il s’impose ou non à tous ses signataires ? Et qui décide que les obligations du traité sont ou ne sont pas remplies ? Marylia Kelly, militante et avocate chargée de la plainte auprès de la Cour fédérale américaine, a abordé plus spécialement la façon dont les Etats-Unis enfreignent leurs obligations. Ainsi, les programmes de modernisation des armes nucléaires constituent une « prolifération verticale » et bafouent les exigences de la « bonne foi ». Pas moins de 14 programmes de ce type ont été développés ou pour le moins imaginés depuis le milieu des années 70, notamment dans les laboratoires de Livermore. Le budget des armes nucléaires s’élève à plus de 355 milliards de dollars pour les dix années à venir. Face à ce dangereux gâchis, elle estime que les procès intentés par les Îles Marshall sont créatifs, opportuns et courageux. Un autre orateur, le distingué juge Christopher Weeramantry, ancien vice-président de l’ICJ, a souligné que les solutions doivent être impérativement apportées dans les cinq à dix prochaines années. L’une des raisons en est que les hommes doivent penser le long terme, les besoins des générations futures et pas seulement la balance des paiements de l‘année. Il a souligné le besoin d’éducation des jeunes comme des anciens relativement au droit international qui trouve ses racines dans la sagesse de nombreuses traditions et religions. Il a lui aussi insisté sur la nécessité d’abolir les armes nucléaires. D’une voix aussi tranquille qu’éloquente, il a étrillé les « géants » qui continuent à bafouer la loi tout en prétendant imposer leur volonté aux « nains ». Les actions en justice de « Nuclear Zero » sont d’ores et déjà un événement remarquable, en fait époustouflant. Leur importance en 2015 et au-delà est potentiellement énorme. En soirée, au cours d’une cérémonie longue et émouvante, l’IPB (Bureau International de la Paix) a remis le 22e prix « Sean MacBride » (du nom du révolutionnaire irlandais des années 1920 devenu pacifiste, qui présida pendant un temps l’IPB, contribua à fonder Greenpeace, et obtint le prix Nobel de la Paix) au gouvernement et au peuple des Îles Marshall. C’est en leur nom et au nom de toutes les victimes des essais nucléaires, notamment les enfants nés difformes ou non-viables ou atteints en bas âge de leucémie, comme sa propre petite fille, que Tony de Brum a accepté le prix, avec de fortes paroles. *** (*) Le gouvernement autrichien a invité chacun des 193 Etats membres de l’ONU, qu’ils soient dotés d’armes nucléaires (ils sont 9) ou ne le soient pas (ils sont 184), à venir entendre les exposés d’experts sur les effets des armes nucléaires, si par malheur celles-ci étaient à nouveau utilisées. C’est la 3e conférence de ce type. La 1e eut lieu à Oslo en mars 2013, la 2e à Nayarit (Mexique) en février 2014. A Oslo, 127 Etats avaient répondu à l’invitation du gouvernement norvégien. A Nayarit, ils étaient 146. Cette fois, ils seront plus de 150, dont, pour la première fois, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, deux des 5 Etats nucléaires par ailleurs membres permanents du Conseil de sécurité et signataires du Traité de Non-Prolifération. Aux dernières nouvelles, la France, qui est dans le même cas qu’eux, ne s’est pas manifestée, comme la Russie et la Chine. (1) Voir David contre Goliath : 9 Etats nucléaires traduits en justice pour la première fois, menacés de devoir liquider leurs arsenaux, 8 mai 2014. Samedi 6 décembre Aujourd’hui s’ouvre le Forum de la société civile, vaste rassemblement de plus de 600 personnes (à peu près à parité entre hommes et femmes) venues du monde entier. Tous les âges sont représentés, mais on note avec plaisir la présence de nombreux jeunes. A vue de nez, la moyenne d’âge ne doit pas dépasser 40 ans. L’équipe d’ICAN qui a organisé l’événement – une vingtaine de personnes - est incroyablement jeune, motivée et débordante d’énergie, ce qui ne nuit en rien à l’efficacité de l’organisation. Béatrice Fihn, directrice exécutive d’ICAN International, a accueilli les délégués en leur déclarant que "la société civile est une grande puissance mondiale" – ce sont les groupes de citoyens, bien plutôt que les gouvernements, qui doivent devenir la force principale de changement. A la tribune, Nadja Schmidt, responsable d’ICAN-Autriche, raconte l’étonnante aventure du groupe qui, il y a deux ans, n’était encore composé que de trois personnes lorsqu’il écrivit au président de la République pour attirer son attention sur la question des armes nucléaires. Quelques semaines plus tard, celui-ci tenait des propos que n’aurait pas reniés ICAN. Puis le Parlement autrichien adoptait à l’unanimité une résolution allant dans le même sens. Puis le gouvernement autrichien annonçait à Nayarit qu’il était prêt prendre la suite du Mexique pour accueillir la 3e Conférence sur l’impact des armes nucléaires. A présent, le fait est que le vaste auditorium de la Faculté des Sciences déborde d’enthousiame et d’énergie pour l’élimination des armes nucléaires. Dans une vidéo enregistrée, le Président de la République d’Autriche, Heinz Fischer, salue les participants et se fait l’écho d’une volonté politique qui, selon lui, ne cesse de grandir : “L’humanité a le droit de vivre en s’affranchissant de la menace nucléaire”, dit-il. Setsuko Thurlow prend alors la parole. C’est une Japonaise, aujourd’hui de nationalité canadienne. Elle apporte son témoignage d’hibakusha. Elle raconte comment les habitants d’Hiroshima s’étaient étonnés puis avaient fini par s’habituer au fait que leur ville ne subissait aucun bombardement, alors que presque toutes les villes du Japon, même les plus petites, en faisaient l’objet depuis le début de 1945. (2) Le matin où la ville fut enfin bombardée, le 6 août, Setsuko avait treize ans et se trouvait, avec ses camarades de classe, au premier étage d’un bâtiment en bois situé à 1,8 km du point zéro (le point précis au-dessus duquel la bombe a explosé). L’armée les avait convoquées pour les former à une mission qui n’était pas franchement de leur âge : jouer les messagères secrètes en cas d’occupation du pays. Sa vue fut brutalement frappée par un éclair aveuglant et aussitôt après, le bâtiment s’écroula, soufflé comme un fétu de paille. Elle fut précipitée au milieu des décombres. Blessée, elle parvint à s’en extirper avec une aide extérieure. Le spectacle à l’extérieur était hallucinant. Mieux vaut vous épargner les détails. Pas sûr que le président Hollande, s’il avait été dans la salle, continuerait à dire à propos de son rôle de presse-bouton nucléaire : “c’est une prérogative présidentielle, et je l’assume”. C’est dans une circonstance comme celle-ci que l’on comprend mieux pourquoi la France a refusé d’assister aux deux premières conférences sur l’impact des armes nucléaires et pourquoi elle continue à laisser sa chaise vide à l’occasion de la troisième. Il y a des réalités qu’on préfère ignorer. Et jouer les matamores en brandissant ses mégatonnes ne vaccine pas contre le manque de courage. D’autres orateurs se succèdent à la tribune, dont le président de la Croix-Rouge autrichienne, Werner Kershbaum, et celui de Green Cross International (la fondation de Mikhaïl Gorbatchev), l’américain Paul Walker. Le premier évoque les crises humanitaires auxquelles les services d’urgence ont bien du mal à faire face et les rapproche du cas d’une explosion nucléaire, qui serait sans comparaison possible. La Croix Rouge serait incapable d’y répondre par des mesures adéquates. Le second parle des effets environnementaux d’explosions nucléaires : même limitées, elles pourraient créer une “famine nucléaire”. Paul Walker déclare aussi que “nous souffrons chaque jour des armes nucléaires”, à cause des effets persistants des essais nucléaires, de leur stockage, de leurs déchets. Et de ce qu’elles empêchent de faire au profit de l’humanité. Cet après-midi, plusieurs réunions parallèles ont eu lieu, dont une organisée par IPPNW, l’association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire. Celle-ci a présenté un nouvel outil de campagne : un montage PowerPoint disponible en ligne, bien conçu et basé sur des faits indiscutables. Il mérite d’être vu. Dans une vidéo enregistrée, le général US Lee Butler, ancien chef du Strategic Air Command, ayant eu à ce titre la responsabilité de l’ensemble des forces nucléaires américaines, est intervenu pour dire notamment que l’abolition des armes nucléaires est de nos jours un impératif moral absolu, en fait “la mesure ultime de notre valeur en qu’espèce, en tant qu’êtres humains”. Ceci a conduit à une session qui, examinant les principales traditions religieuses, a conclu qu’elles avaient pour “dénominateur commun” de vouloir répondre aux vrais besoins des êtres humains, maintenant et pour les générations futures. Mustafa Ceric, grand mufti de Sarajevo (où il a vécu pendant le siège des années 90) a affirmé que la foi religieuse peut nous aider à résister à la peur et à la défiance, qui sont si répandues dans le monde d’aujourd’hui, et qu’elle ne peut que nous pousser à vouloir abolir les armes nucléaires. Bon, il ne reste plus qu’à en convaincre l’Eglise de France, à tout le moins la Conférence des évêques, et le tour sera joué (3) : la France cessera de traîner les pieds en racontant à qui veut bien la croire qu’elle veut le désarmement nucléaire, mais seulement “step by step”, étape par étape. Et surtout ne nous pressons pas... Connaissez-vous la dernière ? C’était le 23 octobre 2014 : la visite du Premier ministre Manuel Valls au Laser Mega Joule du Barp (en Gironde), cet engin monstrueux qui nous prépare les armes thermonucléaires du futur. "Le désarmement, étape par étape", disent-ils ! Ils nous prennent vraiment pour des gogos. (4) *** (2) Pour comprendre cet étrange répit accordé à Hiroshima (mais aussi à Kokura, Niigata et Nagasaki), voir Hiroshima-Nagasaki : une histoire méconnue et des leçons plus que jamais d’actualité (3) Voir L’Eglise de France, le désarmement nucléaire et la conférence de Vienne. A notre connaissance, au moins un évêque a écrit au Président François Hollande pour lui demander que la France participe à la conférence de Vienne. Il s’agit de Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne (et ancien aumônier de Soweto, en Afrique du Sud). (4) Pour la confiance à accorder à la France, voir La France face au désarmement nucléaire Dimanche 7 décembre C’est sûr désormais, la France, comme la Corée du Nord, ne viendra pas à Vienne. (5) Quelques remarques générales sur ce Forum de la société civile. Ce qui réunit manifestement les gens ici, c’est l’espoir d’aboutir à une interdiction claire et nette des armes nucléaires, au moyen d’un traité, une convention, ou de quelque manière que ce soit, par un “instrument légal juridiquement contraignant”. Bien que la plupart des gens ici les considèrent comme d’ores et déjà contraires au droit international (comme les plaintes introduites par les Îles Marshall entendent le démontrer), une convention internationale les placera explicitement hors-la loi et les stigmatisera à tel point que les Etats qui en possèdent perdront de fait leur autorité, s’ils s’obstinent à refuser de les abandonner. Une stratégie inédite, qui a des chances de jouer un rôle déterminant, a été adoptée et mise en oeuvre en 2013-2014 par les partisans de l’abolition des armes nucléaires : déplacer le débat de leur prétendue valeur dissuasive vers leur nature indubitablement barbare. Les ONG telles que ICAN encouragent de nombreux gouvernements qui partagent déjà ces idées, en insistant sur le fait, essentiel à leurs yeux, que nous ne pouvons plus, nous ne devons plus attendre après les Etats dotés d’armes nucléaires pour prononcer leur interdiction. Nous avons déjà bien trop attendu, et ces Etats n’ont même pas engagé les négociations multilatérales exigées par le TNP depuis 1970 ! Leur prohibition peut-elle précéder leur élimination ? Les récentes conventions d’interdiction des mines anti-personnel et des armes à sous-munitions apportent un encouragement fort à l’idée qu’une convention portant sur les armes nucléaires aurait un impact, même si elle ne portait pas les signatures d’acteurs majeurs comme les Etats-Unis, la France, etc. Les nations fières n’aiment pas être montrées du doigt. D’autant que les raisons humanitaires plaidant en faveur d’une interdiction sont accablantes. Le premier orateur de ce dimanche, Sue Coleman-Haseldine, appartient au peuple Kokatha Mula, qui vivait en Australie du Sud, sous le vent d’un essai nucléaire dont ses membres ne furent pas avertis. Elle a parlé des nombreux cancers qui ont atteint enfants et adultes sur une longue période. Elle a ajouté un point rarement mentionné : “Et n’oubliez pas les animaux !”. Le coeur du débat s’est ensuite déplacé du problème aux moyens de le résoudre. Une longue session sur le “leadership politique” avec pour commencer une parlementaire norvégienne qui a exercé des fonctions ministérielles dans le précédent gouvernement norvégien, Gryl Larsen. Elle a donné un aperçu de la réflexion stratégique qui a conduit à la conférence d’Oslo en 2013. Elle a insisté sur l’importance de l’alliance entre les dirigeants politiques et une société civile déterminée à agir. Lui ont succédé des représentants de trois pays résolument anti-nucléaires : le Mexique, l’Autriche et l’Irlande. Le Mexicain Jorge Locomano a évoqué le choix de sa nation d’”assurer la sécurité par le désarmement” et son désir d’aboutir à l’interdiction des armes nucléaires. Du processus ayant conduit à cet événement de Vienne, iI a dit que c’était “a game-changer”, un changement des règles du jeu, parce qu’il donne pour de bon la parole aux Etats non-nucléaires et il défend leur cause en s’appuyant sur des faits, des informations scientifiques irréfutables prouvant à quel point les armes nucléaires constituent un véritable danger. Représentant official de l’Irlande, Breifne O’Reilly a parlé lui aussi du risque, et de l’incapacité dans laquelle nous serions de répondre efficacement à une explosion nucléaire, maintenant ou n’importe quand. L’Autrichien Jan Kickert a donné un aperçu des positions de son pays depuis les décennies de la Guerre froide et du rideau de fer, où l’Autriche était exposée aux attaques des deux bords, ce qui aide à comprendre sa position énergique sur le désarmement. Dimanche après-midi a vu la conclusion du Forum. Bien des sujets du week-end ont été renforcés, comme les conséquences sanitaires des explosions nucléaires. Elles ont eu pour visage humain celui de Karipbek Kuyukov, un artiste né sans bras, qui peint avec la bouche. Il vient du Kazakhstan, où 1,5 million de personnes ont été affectées par les essais nucléaires. Les orateurs du panel de conclusion sont tombés d’accord pour dire que la seule réponse logique aux menaces que font peser les armes nucléaires, c’est de les interdire, et ont avancé différentes idées sur la manière exacte d’y parvenir, traité ou autre instrument juridique. Lors d’une importante session, quatre parlementaires ont évoqué les défis auxquels ils devaient répondre. Membres du PNND, ils ont déclaré aux centaines de membres d’ONG présents dans l’assistance : "Poussez-nous, pour que nous fassions ce qu’il faut" (Paul Dewar, Canada). Un cas particulier a été soulevé : celui du Royaume-Uni et du débat sur le renouvellement du système "Trident" britannique. Joan Ruddock a dit qu’ "un espace devait être ouvert dans les cerveaux britanniques", afin que les citoyens un peu trop complaisants deviennent conscients de la gravité de la menace nucléaire. Et Bill Kidd, du Parlement écossais, a expliqué comment le Scottish National Party conteste au Parlement de Westminster le droit d’imposer ce système d’armes à la base de Faslane, non loin de Glasgow, la plus grande ville écossaise. Le député Vert autrichien Peter Pilz nous a rappelé que son pays, pourtant dépourvu de toute arme et de toute centrale nucléaire, vit encore actuellement avec la conscience que les réacteurs nucléaires présents de l’autre côté de sa frontière peuvent représenter des risques d’accidents, et sont certainement vulnérables à des attaques terroristes. Demain matin, la Conférence intergouvernementale commence dans le grand Palais de la Hofburg. Les délégués de plus de 150 pays non-nucléaires et de quelques Etats nucléaires y seront, pour mieux s’informer des effets humains (ou inhumains) et des constats scientifiques relatifs à la question nucléaire. Nous y serons aussi. Pour conclure, citons quelques phrases de ce dimanche : “Les armes nucléaires, ce n’est pas moins, mais plus d’insécurité… Le monde est plus sûr sans elles qu’avec elles.” “La charge de la preuve est maintenant du côté de ceux qui veulent les armes nucléaires.” “Nous pouvons et nous devons réussir”. *** (5) Cf. notre communiqué de ce jour : Armes nucléaires : la France s’aligne sur la Russie, Israël et la Corée du Nord Lundi 8 décembre Il était 8 heures 30 ce lundi quand les participants ont commencé à affluer au Palais de la Hofburg. Passée la grande porte, une escouade de personnages encapuchonnés dans une lourde combinaison jaune et armés d’une « poële à frire » les intercepte et les soumet à un contrôle de radioactivité. « Pour le moment, tout va bien » : ils ne sont pas encore contaminés. On leur délivre un badge. Ils déposent leurs vêtements de pluie et s’avancent vers le grand escalier. L’immense salle qui les accueille offre un cadre impressionnant, avec des lustres témoignant de la splendeur passée. Ce fut autrefois une salle de bal impériale. Plus de 700 chaises sont alignées devant la tribune. La moitié derrière les tables réservées aux délégations officielles des Etats et des agences de l’ONU. L’autre moitié destinée aux journalistes et aux délégués agréés de la société civile, qui colonisent en outre les marches du fond de la salle. Il y a là au moins 800 personnes. Il est dix heures ce lundi. La Conférence Intergouvernementale démarre. Le jeune et brillant ministre autrichien des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, salue les délégués de près de 160 Etats inscrits, la foule des représentants de la société civile. Il tient un discours énergique sur la nécessité d’en finir avec les armes nucléaires. (Sur la position de l’Autriche, voir le site du Ministère) Les premiers messages proviennent de dirigeants absents : Ban Ki Moon parlant de « l’absurdité de gaspiller des sommes énormes dans des armes nucléaires dépourvues de tout usage », et le Pape François, lu par l’archevêque Silvano Tomasi, représentant du Saint Siège à Genève. Le pape déclare que « dépenser pour les armes nucléaires, c’est gaspiller la richesse des nations », que la famille humaine est une, qu’elle exige une « éthique de la solidarité », et que ces armes bafouent toutes les normes morales en infligeant des souffrances inacceptables. Les souffrances inacceptables étaient l’un des thèmes de la matinée. Outre Setsuko Thurlow et Sue Coleman-Haseldine, déjà entendues au Forum de la société civile, nous avons entendu les témoignages particulièrement émouvants de Abacca Anjain-Maddison, citoyenne marshallaise, et de Michelle Thomas, citoyenne américaine, qui ont subi avec leur famille les retombées des essais américains, la première dans les Îles Marshall, la seconde dans l’Etat de l’Utah, ce qui lui vaut de vivre en fauteuil roulant. « Cruel, brutal, interminable », ont été les mots revenant le plus souvent. Ces témoignages ont donné un visage au discours sur « l’impact humain » de ces armes, qui n’ont soi-disant jamais été employées depuis 1945, mais qui n’en ont pas moins causé quantité de morts et de maladies. Autre thème : la preuve scientifique de l’étendue du désastre. Mary Olson a parlé des dommages médicaux immédiats, à court, à moyen et à long terme, y compris les effets de chaleur, les conséquences climatiques, radiologiques et d’une façon générale les effets sur la santé publique. Sa conclusion : « La seule façon de soigner, c’est de prévenir ». Michael Mills a alors présenté une simulation passablement effrayante. Si un échange nucléaire avait lieu entre l’Inde et le Pakistan, limité à la moitié de leur arsenal (c’est-à-dire à une cinquantaine d’explosions), les incendies, la fumée et la poussière affecteraient durablement l’ensemble des pays et détruiraient ou dégraderaient gravement la production alimentaire, avec pour résultat une « famine nucléaire ». Matthew McKinzie, pour sa part, a pris pour hypothèse de sa simulation l’explosion d’une seule bombe de 200 Kt sur une base militaire située en Italie du Nord. (6) Résultat : un panache de retombées radioactives qui, si les vents étaient orientés comme ils l’ont été le 11 octobre 2014, auraient contaminé toute l’Autriche et atteint les pays baltes et le nord de la Russie. Le 12 novembre 2014, elles auraient atteint les frontières de la France... Heureusement, comme chacun sait depuis Tchernobyl, les frontières françaises sont infranchissables par les nuages radioactifs. La preuve a également été apportée des dégâts causés à elle seule par la production des armes nucléaires, depuis les mines d’uranium jusqu’au produit fini. Arjun Makhijani a estimé que les Etats nucléaires ont exploité les peuples des autres pays et il a appelé à la création d’"une commission vérité sur l’impact de la production des armes nucléaires sur la santé et sur l’environnement". Principal thème des sessions de l’après-midi : le risque inacceptable. Il a été mis en lumière par une vidéo avec Stanislas Petrov. Son nom sera bientôt connu grâce à un long métrage documentaire, "L’homme qui a sauvé le monde", qui révélera aux spectateurs à quel point on est passé près de la catastrophe en septembre 1983. Les différents risques ont été ensuite présentés par Eric Schlosser, Reinhard Mechler, Camille Francois, Seth Baum et Bruce Blair. Nous avons appris que plusieurs accidents frôlés aux Etats-Unis auraient pu effacer de la carte la Caroline du Sud, l’Arkansas, ou le Nord Dakota. Selon Schlosser, "les risques d’exploison involontaire sont peut-être faibles, mais les conséquences seraient énormes. Et des événements de faible probabilité se produisent tous les jours". Seth Baum a confirmé en ajoutant : "Les risques augmentent avec le temps - plus on attend, plus la probabilité d’une guerre nucléaire augmentera". Il semble que peu d’entre nous aient réellement mesuré à quel point nous avons eu de la chance qu’une explosion nucléaire n’ait pas eu lieu pendant toute la guerre froide. Quant au présent, ce n’est pas Bruce Blair qui nous rassurera. Il déclare que "l’expansion, la diversification et la modernisation des arsenaux nucléaires... ainsi que l’abaissement des seuils d’emploi augmentent les risques que les armes soient employées volontairement ou involontairement ... par perte de contrôle, actes non autorisés, décisions hâtives ou erreurs de calcul". D’autres risques encore ont été mentionnés, comme l’emploi des armes tombées entre les mains de terroristes, ou les cyber-attaques et les cyber-menaces, dont a parlé Camille François. Pour des raisons évidentes, aucun de ces orateurs n’a estimé que ces risques puissent être considérés comme acceptables. Au contraire, le message collectif ressemble à un commandement : "Laisse tomber la roulette russe, enlève les balles du barillet". La journée s’est terminée avec la projection de The man who saved the world (L’homme qui a sauvé le monde), en avant-première et en version originale russe (Stanislas Petrov y jouant son propre rôle), sous-titrée en anglais. Un film qui risque d’attirer les foules. Voilà au moins un risque que nous sommes disposés à prendre et même à développer. Particulièrement en France, au pays de l’omerta nucléaire. *** (6) La puissance de cette bombe, 200 Kt, correspond à celle d’une douzaine de bombes d’Hiroshima, mais elles est de la taille moyenne des bombes actuelles (celles de la France varient de 150 à 300 Kt), et bien adaptée à l’objectif imaginable de l’explosion : clouer dans son silo un missile enterré, ou bien détruire un arsenal stocké en sous-sol. Quant à la base italienne, elle existe réellement, et elle héberge réellement des bombes atomiques américaines. L’hypothèse est donc très réaliste. Mardi 9 décembre La dernière table ronde de la Conférence a montré une fois de plus combien les Autrichiens ont su faire appel à de brillants experts pour ouvrir de nouvelles perspectives au traitement des questions et renforcer le changement de modèle qui s’est produit. La session de ce matin s’est attachée à explorer les domaines du droit international existant, souvent négligés par les décideurs politiques : le droit de l’environnement, celui du désarmement, le droit de la guerre, et naturellement le Droit Humanitaire International (DHI), qui protège aussi bien les combattants que les civils. Helen Durham, de la Croix Rouge, a mis en évidence le fait que le DHI a défini des règles visant à distinguer les cibles, à "proportionner" les attaques, à prendre des mesures de précaution en faveur des civils (comme de les avertir de bombardements ou de réduire le plus possible le nombre des "victimes collatérales"), et interdit même "l’emploi d’armes susceptibles de causer des blessures et des souffrances évitables". Mais la Croix Rouge doute fortement que les armes nucléaires puissent jamais respecter ces limitations. D’autres intervenants ont souligné les progrès que le DHI a faits au cours du 20e et du 21e siècles, et le fait que les conflits armés ne sont pas dispensés d’appliquer les règles du droit environnemental. Puis le philosophe Nabuo Hayashi (de l’Université d’Oslo), parlant de la guerre, a résumé d’une phrase les effets du droit existant : « il cherche à étrangler la bête par diverses approches, mais ne la frappe pas au cœur » Selon sa réflexion, l’éthique des conséquences, aux yeux de laquelle la fin justifie les moyens, doit faire place à une approche déontologique, s’attachant non plus aux conséquences, mais au statut moral de l’acte lui-même. L’emploi d’armes nucléaires est immoral en soi, comme la torture. En conclusion, « nous ne pouvons plus continuer à vivre dans une situation où l’humanité, pour assurer sa propre survie, se prend elle-même en otage. » La session suivante, annoncée comme une « Discussion générale » a duré plus de sept heures d’affilée. Elle a enchaîné les déclarations officielles de près de cent Etats, et brièvement donné la parole à trois ou quatre ONG (Wildfire, Mayors for Peace, ICAN). Il n’y a pas eu, en fait, de débat. Parmi les Etats ayant fait des déclarations les plus résolument abolitionnistes, on a noté le Chili, le Danemark, l’Egypte, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Togo, le Costa-Rica, l’Irlande, le Malawi. Toutes ont été très bien reçues, vivement applaudies par les participants de la société civile, en particulier celle de l’Afrique du Sud, qui a rappelé qu’elle était le seul pays à avoir eu des armes atomiques et à les avoir démantelées, et qui s’est déclarée prête à accueillir l’étape suivante du processus en cours. Quelques pays se sont déclarés en faveur de l’approche antérieure « étape par étape », qui s’est avérée bien trop lente et en définitive inefficace. La déclaration des Etats-Unis reflétait leur politique bien connue de dissuasion, tandis que celle du Royaume-Uni annonçait son intention de réduire de moitié, d’ici à 2025, le nombre de ses têtes nucléaires. On suppose que les autres nations sont priées de patienter... L’Ukraine a fait une certaine diversion en élevant contre la Fédération de Russie une longue protestation, que les délégations suivantes n’ont pas relevée mais qui n’en était pas moins dans le sujet, dans la mesure où l’Ukraine a renoncé à ses armes nucléaires, et pas la Russie. Le Bangladesh a lancé un slogan vigoureux : « Congelez les armes nucléaires et cultivez l’avenir ! ». Un autre délégué a mis les Etats nucléaires au défi de justifier la soi-disant « sécurité » qu’ils attribuent à ces armes. Dans sa déclaration, le porte-parole d’ICAN s’est fait l’avocat d’un einstrument juridique contraignant pour bannir les armes nucléaires, en ajoutant : « ce n’est pas une proposition sujette à controverse… elle est tout simplement logique ». Un orateur parlant au nom d’une NGO qui se nomme elle-même « Wildfire » (Feu sauvage) a fait la déclaration la plus provocante. Feignant de s’adresser aux Etats NON nucléaires, il leur a adressé une litanie de questions rhétoriques commençant par « Combien de temps encore… ». Par exemple : « Combien de temps encore allez-vous attendre poliment que les Etats nucléaires vous autorisent à vous réunir pour discuter d’un traité d’interdiction des armes nucléaires ? » Au total, 44 Etats ont exprimé au cours de leurs déclarations la volonté d’aller vers un traité d’interdiction des armes nucléaires. Pour conclure la Conférence, lecture a été donnée d’une synthèse des contributions, faite au nom de l’Autriche par le ministre des Affaires étrangères. Elle dégageait huit points pratiquement incontestés, que l’on peut résumer ainsi : Outre ces huit points, le pays ayant accueilli la Conférence en a noté d’autres, soulevés par plusieurs Etats, par exemple le fait que les programmes d’armement nucléaire détournent beaucoup d’argent d’utilisations dignes d’intérêt. Ils ont aussi attiré l’attention sur la prochaine Conférence d’examen du TNP qui se tiendra à New York au printemps prochain, et qui devra prendre en compte les résultats des Conférences d’Oslo, Nayarit et Vienne, et tirer enfin concrètement les leçons des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki dont on commémorera le 70e anniversaire en août prochain. Les Autrichiens ont enfin pris l’engagement unilatéral de prolonger de diverses manières le travail fait lors de cette conférence : ses objectifs impliquent de combler le vide juridique actuel en prononçant d’une manière ou d’une autre l’interdiction des armes nucléaires, et la nécessité de stigmatiser ces armes pour en obtenir l’élimination complète. Il convient de remercier l’Autriche pour son travail impressionnant et l’organisation remarquable de cette Conférence. Du fait que les deux tiers des délégations gouvernementales ont souhaité prendre la parole et qu’un certain nombre d’entre elles ne se sont pas tenues à la règle des trois minutes d’intervention, les ONG ont été réduites à la portion congrue et la plupart d’entre elles privées de parole. C’était la rançon du succès. La délégation d’ACDN a pu remettre à toutes les délégations gouvernementales, en version anglaise, le mémorandum sur la France face au désarmement nucléaire et la Lettre ouverte au président de la République. La déclaration qu’elle n’a pas pu faire se trouve ici sur le site du Ministère. Nous quittons Vienne avec un peu plus d’espoir au cœur et la ferme intention de ne pas baisser les bras. Jean-Marie Matagne (France), Peter Low (Nouvelle-Zélande) En savoir plus sur le sujet : Liste des 158 Etats ayant participé à la 3e "Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires" (classés par ordre alphabétique de leur appellation en anglais et par groupes de 10) : Afghanistan, Albania, Algeria, Andorra, Angola, Antigua and Barbuda, Argentina, Armenia, Australia, Austria,
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