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La France et les usines d’enrichissement de l’uranium :
D’Eurodif (Georges Besse I) à Georges Besse II

Communiqué du CLADE (Collectif Limousin Antidéchets)


Publié le 4 novembre 2005

La France va abandonner le procédé d’enrichissement par diffusion gazeuse actuellement utilisé à l’usine Eurodif pour un procédé par centrifugation.

Ceci nécessite la création d’une nouvelle installation nucléaire de base et devrait susciter une mobilisation antinucléaire nationale car l’enrichissement de l’uranium est à la base de toute l’industrie nucléaire civile et aussi militaire.

Rappelons que des trois isotopes U238, U235, U234 de l’uranium naturel, seul l’uranium 235 est fissile. Alors que sa concentration en poids est d’environ 0,71% dans l’uranium naturel (pour 99,28% d’U238 et 0,005% U234) il est nécessaire d’augmenter la concentration en U235 pour utiliser l’uranium dans les réacteurs nucléaires. Elle est enrichie entre 3 et 6% dans le combustible des réacteurs actuels. Il est envisagé un enrichissement à 15% pour les réacteurs dits de 4ème génération.

L’étape de l’enrichissement intervient après l’extraction du minerai d’uranium puis de sa concentration en uranium sur le site minier par des traitements aboutissant à un produit pâteux (le « yellow cake ») et de la conversion des concentrés d’uranium en hexafluorure d’uranium UF6 à Pierrelatte (Drôme) dans les installations de COMURHEX. L’enrichissement s’effectue sur l’UF6 gazeux à l’usine Eurodif de Pierrelatte, rebaptisée Georges Besse I, par le procédé de diffusion gazeuse.

Remarquons que s’il y a enrichissement de l’uranium d’une part, il reste bien évidemment de l’uranium appauvri d’autre part : la conversion de 8 kg d’uranium naturel à 0,71% d’U235, produit 1 kg d’uranium enrichi à 3,7% et
7 kg d’uranium appauvri (UA) à 0,25%.

Le projet annoncé par AREVA de passer de la diffusion gazeuse à un autre procédé par centrifugation, a fait l’objet d’un débat public en Rhône-Alpes du 1er septembre au 22 octobre 2004. A notre connaissance, la seule réaction sur place a été une conférence de presse menée par la CRIIRAD et le Réseau « Sortir du nucléaire ».
Or, en Limousin nous sommes aussi concernés, qui dit enrichissement de l’uranium dit aussi qu’il en résulte de l’uranium appauvri (UA) nous le savons et pour cause, puisqu’à Bessines nous avons hérité de l’UA résultant de l’enrichissement effectué à Eurodif. Dans une ICPE, installation classée pour la protection de l’environnement, a été autorisé « l’entreposage » de 199 900 tonnes d’oxyde d’uranium appauvri sous forme de poudre ! Cette ICPE personne n’en voulait en 1995, ni la population ni les élus ni les commissaires enquêteurs malgré l’argument développé par COGEMA d’un ré-enrichissement ultérieur de UA grâce à une merveilleuse technique par laser, le procédé SILVA. Aussi, dès que nous avons appris l’existence du nouveau projet AREVA nous avons saisi par courrier les élus des Conseils Régional et Général, et par tract distribué à Limoges la population, tous s’étant autrefois massivement prononcés contre le projet d’entreposage de UA.

Nous nous sommes procuré la pub AREVA sur le sujet en téléphonant à COGEMA-Pierrelatte, une somptueuse plaquette, ainsi que le « Dossier du maître d’ouvrage » ces deux documents étant destinés au débat public.
Ce que nous avons appris, entre autres, sur l’enrichissement par laser qui nous fut présenté en 1995 comme une solution d’avenir pour la matière première que serait l’uranium appauvri a, comme on dit, « retenu toute notre attention ». Lors du dépôt du dossier d’enquête publique, le laser était « la » solution retenue qui permettrait de reprendre les 199 900 tonnes d’UA pour les ré-enrichir, tout cela afin de convaincre les élus et la population qu’il s’agissait bien d’un entreposage et non d’un stockage, que cet UA serait enlevé pour être enrichi au bout d’une vingtaine d’années voire moins, voulant prouver par là que cet UA n’est pas un déchet. Or voilà la chose abandonnée, bien qu’elle ait « fait la preuve de sa capacité théorique à enrichir l’uranium, son utilisation industrielle se heurtant à des coûts rédhibitoires... » ? Comme quoi les prévisions à court terme dans le nucléaire sont aussi fiables que la météo du lundi pour le week-end...

La surprise de la centrifugation (procédé adopté pour Georges Besse II) c’est l’économie d’énergie qui est annoncée pour une capacité annuelle nominale voisine de celle de la diffusion gazeuse. La capacité de production est évaluée en unités dites UTS, « unité de travail de
séparation* », 10 millions d’UTS pour Eurodif et 7,5 à 11 millions d’UTS pour Gorges Besse II. (D’après Wise-Paris** en 2001 Eurodif a produit 2165 tonnes d’UF6 enrichi à partir de 18 194 tonnes d’UF6 naturel fourni par Comurhex-Pierrelatte. D’après la documentation AREVA la production de 1 kg d’uranium enrichi à partir de 8 kg d’uranium naturel correspond à 5 UTS et un réacteur de 900 MW consomme annuellement 100 000 UTS.)

Eurodif utilise 3 réacteurs du Tricastin à pleine puissance et on peut faire pareil avec seulement 50 MW ! On voit que le gaspillage n’est pas l’exclusivité des ménages ! Pourquoi avoir choisi la diffusion gazeuse alors que le procédé par centrifugation est aussi ancien ?

Le calendrier prévisionnel semble avoir quelque retard. Début 2005 devait voir l’attribution du « Permis de construire » et le début des enquêtes publiques DAC (décret d’autorisation de création de l’installation nucléaire de base INB) et DARPE (demande d’arrêté de rejet et de prélèvement d’eau). La DRIRE nous a confirmé en juin 2005 que les dossiers d’enquête publique n’étaient toujours pas arrivés dans ses services.
Ce retard est-il dû au fait que des études de sûreté concernant le risque de sismicité, le risque de criticité et le risque de chute d’avion ont été demandées par l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) ? Ces études sont-elles terminées et ont-elles donné satisfaction à l’ASN ?


Quelques comparaisons entre Georges Besse I (Eurodif) et le futur Georges Besse II :

Eurodif-Georges Besse I (Diffusion gazeuse) :

Puissance électrique utilisée : 2600 mégawatts

Eau prélevée :
70 000 m3/an (nappe)
26 000 m3/an (surface)

Energie fossile :
88 t/an fuel léger, essence
21 000 MWh (gaz naturel)

Georges Besse II (Centrifugation)

Puissance électrique utilisée : 50 mégawatts

Eau prélevée :
40 000 m3/an (nappe)

Energie fossile :
88 t/an fuel léger, essence


Le débat public : qu’en dire, sinon que la Commission Nationale de Débat public ayant décidé que l’organisation du débat public serait confiée au maître d’ouvrage, AREVA ( ! ) on peut lire qu’une « commission de pilotage composée de quatre membres indépendants du groupe AREVA, est chargée d’animer le débat public ». Pas d’autres indices nous permettant de mieux cerner « l’indépendance » de ces quatre membres... Mais il y a bien longtemps que nous avons appris qu’en matière de nucléaire, tout n’est qu’une affaire de croyance, qu’il s’agisse de transparence, d’information objective, d’infaillibilité des concepteurs ou de celle des exploitants, des enseignements du « retour d’expérience » après incidents ou accidents.
Pour en savoir plus : http://www.debatpublic-gbesse2.org

Au fond notre critique porte sur ce qui ne figure pas au projet de débat public et qui devrait impérativement en faire partie, à savoir :

- que deviennent les déchets de l’enrichissement, où sont-ils censés aller ? Les réunions publiques ayant été organisées dans les communes situées aux alentours du site nucléaire du Tricastin, le débat contradictoire n’a pas été accessible aux habitants du Limousin. Cette carence du dossier sera passée inaperçue alors que 7 kg d’UA sont produits par kg d’uranium enrichi !

- Où entreposer l’uranium appauvri ? Sur place ? Sur quelque site minier propriété de COGEMA ?

- Où iront les tonneaux de fluorine provenant de la défluoration de l’U appauvri et qui contiennent de l’uranium ? Sur quelle décharge publique ?

A notre connaissance la réaction de l’association ASPCV*** qui s’oppose à la mise en décharge de ce type de déchets a été la seule réaction locale à ce jour.

Les enquêtes publiques concernant les ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) prévoient, dans le cas de porcheries ou de poulaillers industriels, les conditions de stockage ou d’évacuation des lisiers, des fientes etc. Les autorisations sollicitées pour les rejets et prélèvements de la nouvelle INB d’enrichissement Georges Besse II ne concernent que l’eau, nous avons donc quelques sujets d’inquiétudes quant au devenir de l’UA et de la fluorine dopeé à l’uranium pour ne citer que ceux là !

Nous attendrons les dossiers des enquêtes publiques et ferons critiques et observations sur les cahiers d’enquête mais ce faisant nous savons d’expérience que nous alimenterons une procédure « consultative » qui se veut nécessaire et « démocratique » alors que les jeux sont faits et que les conclusions et avis défavorables tant de la population, des élus et de la commission d’enquête peuvent être ignorés par le Préfet. C’est bien ce qui est arrivé en Limousin en 1995 pour l’entreposage d’uranium appauvri à Bessines sur Gartempe. (Tandis qu’à Pierrelatte la population n’a pas été désavouée, ni la commission d’enquête. Il s’agissait, il est vrai, de la régularisation d’une installation existante mais saturée.)

S’il s’agit de sortie ou d’abandon du nucléaire, le dossier Georges Besse II nous semble stratégiquement au moins aussi bien placé que celui de l’EPR. En effet la production d’uranium enrichi alimente notre parc nucléaire et l’exportation. Mais on nous fait remarquer que l’EPR est plus mobilisateur. Pourquoi, alors que Georges Besse II, plus sûrement encore qu’un EPR à Flamanville et l’autre en Finlande, signifie la relance incontestable du nucléaire ? D’ailleurs une dépêche AFP de fin mai annonce que les commis voyageurs du nucléaire français vont aller démarcher Khadafi en Lybie ! Un client de plus pour Georges Besse II !!!

Pour finir, reprenons le dossier du Maître d’ouvrage AREVA et son calendrier prévisionnel :
- Fin 2007... Première production de l’usine Georges Besse II
- Vers 2020.. Fin des opérations de démantèlement d’Eurodif.

A quand la sortie crédible du nucléaire prônée par ceux qui prétendent qu’une sortie immédiate avec les moyens existants (comprenant le thermique classique) ne serait pas réaliste ?

CLADE Collectif Limousin Antidéchets,

6 rue Porte Panet Limoges 87000.

(Extrait de la lettre d’information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°107 mai-septembre 2005.)

* Selon AREVA, l’UTS (Unité de Travail de Séparation) est l’unité de mesure utilisée comme standard international pour quantifier les besoins en enrichissement des réacteurs et la capacité des usines d’enrichissement, quelle que soit la technologie utilisée.

** Beaucoup de renseignements sur l’enrichissement de l’uranium dans :
http://www.wise-paris.org/francais/...

*** ASPCV, association de sauvegarde du patrimoine et du cadre de vie, Solérieux (Drôme).



ECLAIRAGE

Nous publions ce communiqué du CLADE, relayé par le Comité Stop Nogent et la liste de diffusion rezo.debat@ml.free.fr du Réseau "Sortir du nucléaire" à la fois pour les utiles précisions qu’il apporte sur les procédés d’enrichissement de l’uranium dit naturel et parce qu’il met en lumière l’enjeu représenté par la création de l’usine "Georges Besse II" : la source même du "combustible" à laquelle devront s’alimenter l’ensemble des INB françaises d’ici quelques années.

En ce sens, le CLADE a raison d’ écrire que "l’enrichissement de l’uranium est à la base de toute l’industrie nucléaire civile et aussi militaire" et de souligner qu’il s’agit d’un enjeu stratégique, tout autant que la construction d’un prototype d’EPR à Flamanville, construction décidée par EDF, AREVA, le CEA et le gouvernement avant même le "débat public" destiné à lui donner une onction "démocratique", ou que l’ouverture d’un site de "stockage en profondeur" (c’est-à-dire d’enfouissement) des déchets nucléaires hautement radioactifs et à vie longue, projet dont le Parlement doit être saisi début 2006 mais qui est d’ores et déjà "ficelé" (on le lui présentera comme "la seule solution", alors même que cette "solution" présente d’énormes inconvénients et n’a pas pu faire l’objet d’études scientifiques sérieuses et objectives).

De la production du "combustible" des centrales -l’uranium enrichi en U235 (qui peut aussi devenir de l’explosif militaire en poursuivant l’enrichissement)- à la gestion des déchets produits au cours de sa "combustion" -dont le plutonium, autre explosif utilisable dans les bombes A (et dans les bombes H, en tant qu’"allumette" de la fusion de l’hydrogène)- : chacune de ces étapes constitue l’un des maillons majeurs de la chaîne dite "filière nucléaire", tant civile que militaire (la filière militaire y ajoutant ses propres maillons). Mais il ne fait pas de doute que du premier maillon dépend toute la chaîne. A preuve ce qui se joue actuellement en Iran, et par le passé autour du "contrat Eurodif".

A l’encontre du gouvernement actuel, des gouvernements précédents (toutes couleurs confondues), et de certaines forces politiques ou syndicales censées lui faire opposition, le mouvement antinucléaire français prône unanimement la "sortie du nucléaire". Cependant, le rythme et les procédés de cette "sortie" y font encore débat. ACDN est partie prenante de ce débat mais n’entend pas se prononcer avant de connaître les différents "scénarios de sortie" en cours d’élaboration.

Comme à notre habitude, nous entendons souligner à l’intention des partisans de l’abandon du nucléaire civil -dont nous sommes- que celui-ci ne pourra s’obtenir sans que soit en même temps programmé l’abandon par la France de sa force de frappe nucléaire. Inversement, à l’intention des partisans de l’abolition de toutes les armes nucléaires -dont nous sommes également- soulignons que celle-ci implique l’abandon, en France et dans le monde, du nucléaire comme source d’énergie électrique, et l’élimination des INB.

Les liens inextricables entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire, leurs dangers intrinsèques, et l’impérieuse nécessité de débarrasser la planète de l’un comme de l’autre sont devenus une évidence pour le mouvement antinucléaire partout dans le monde, sauf en France.

Nous en avons apporté les preuves à de multiples reprises, par exemple lors des premières Journées du Désarmement Nucléaire que nous avons organisées à Saintes en mai 2001, du premier Colloque sur la sortie du nucléaire civil et militaire (Saintes, mai 2003), des premières Rencontres Internationales pour le Désarmement Nucléaire, Biologique et Chimique (RID-NBC, Saintes, octobre 2004), ou encore au sein de l’atelier "Nucléaire civil et prolifération" lors des 2e JDN de Vénissieux, ou à l’occasion de la manifestation de Bar-le-duc (24 septembre 2005) contre l’enfouissement des déchets nucléaires.

Il en sera à nouveau question à l’occasion des 2e RID-NBC (Saintes, 6-7-8 mai 2006), auxquelles nous convions tous ceux qui partagent cette conviction.

Dans l’immédiat, nous les invitons à signer sur ce site la "lettre ouverte aux puissants de ce monde" : "Etat d’urgence pour la Terre".