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Vanunu libéré après deux jours de prison, sans charge contre lui.
Vanunu et la question des armes nucléaires au coeur des problèmes du Moyen-Orient

Nous en appelons au gouvernement israélien


Publié le 23 novembre 2005

Sitôt que nous avons appris la dernière arrestation de Mordechai Vanunu, nous avons diffusé cette information (voir la "brève" du 18 novembre) et écrit à l’actuel ministre de l’intérieur d’Israël encore en poste pour peu de temps, M. Pines Paz, afin de solliciter la mesure qui nous paraît s’imposer : la restitution de tous ses droits civiques et humains à Mordechai.

Depuis plus de quatre ans, ACDN s’est associée au mouvement international de soutien à Vanunu et a multiplié les démarches, tant auprès des autorités et des diplomates israéliens qu’auprès des plus hautes autorités françaises, d’abord pour obtenir la libération de Mordechai (celle-ci n’est intervenue qu’au terme de l’exécution de sa peine de 18 ans de prison, le 21 avril 2004) puis pour obtenir la levée des restrictions de droits auxquelles il est soumis depuis lors.


En effet, depuis sa sortie de prison, Vanunu exécute une deuxième peine qui ne dit pas son nom : il ne peut pas se déplacer librement à l’intérieur même d’Israël, il ne peut ni émigrer, ni renoncer à sa nationalité comme il le souhaite. Il est en quelque sorte un "exilé de l’intérieur". Du temps de l’Union Soviétique, les citoyens soviétiques dits "de nationalité juive" qui souhaitaient émigrer, notamment en Israël, se voyaient refuser tout visa de sortie, d’où le nom qui leur était donné de "refuzniki". Vanunu est aujourd’hui, paradoxalement, un "refuznik" au sein d’Israël. Est-ce juste, est-ce logique ?

Si l’Etat d’Israël poursuit de sa vindicte le "sonneur d’alerte nucléaire" ("nuclear whistleblower"), c’est parce qu’il a, en 1986, apporté à un journal britannique et par suite au monde entier les preuves de ce que tous les services de renseignement, les Etats et les observateurs internationaux savaient déjà depuis belle lurette : le fait qu’Israël était devenu une puissance nucléaire non déclarée.

En soi, cette publication ne constituait donc ni une révélation, ni une trahison ; ce n’était que la confirmation d’un fait que les ennemis d’Israël connaissaient parfaitement. Elle n’a pas empêché Israël de poursuivre sa "politique de l’ambiguïté" : avoir des armes nucléaires, mais sans jamais déclarer officiellement qu’il les avait. Encore que le principal artisan de la création de cet armement, Shimon Pérès, en ait reconnu ouvertement l’existence voici environ deux ans -ce qui rend d’autant plus "caduc" le grief fait à Vanunu.

Vanunu s’y était résolu après avoir démissionné des fonctions de technicien qu’il avait exercées au centre nucléaire de Dimona où se fabriquaient clandestinement les bombes atomiques israéliennes. Pour se conformer aux exigences de sa conscience : il n’admettait pas qu’Israël fasse reposer sa sécurité sur la possession et l’emploi éventuel d’armes de destruction massive, ni que cette politique soit poursuivie secrètement, à l’insu des citoyens israéliens et sans l’aval public de leur représentation nationale.

C’était un acte de conscience humaine et civique, un acte de "glasnost’", de "transparence" ou plutôt de publicité des informations et des décisions, publicité qui comme chacun sait est l’une des conditions d’un fonctionnement démocratique. Il l’a payé de près de 18 ans de prison, dont 12 en cellule d’isolement, faisant montre d’une incroyable capacité de résistance. Et les autorités israéliennes continuent à le lui faire payer, malgré l’usage d’une partie de ses droits juridiques (comme le prouve sa récente remise en liberté après intervention de la justice), droits qui font encore, heureusement (au moins pour les citoyens israéliens), la différence entre Israël et une dictature. C’est cette différence qui nous donne l’espoir que les autorités israéliennes finiront par lui restituer tous ses droits, y compris celui d’aller vivre et peut-être fonder une famille ailleurs.

En fait, ce qui motive pareil acharnement à l’encontre de Vanunu, c’est, au-delà d’un éventuel esprit de vengeance de la part des services secrets israéliens, le fait que Mordechai n’a nullement renoncé à son combat fondamental : l’élimination de toutes les armes nucléaires de la surface de la planète, et la création au Moyen-Orient d’une zone sans armes nucléaires. Ce qui impliquerait bien entendu qu’Israël renonce à terme à ses propres armes et en négocie le démantèlement contre des garanties de sécurité totalement fiables.

Jusqu’à présent, Israël a préféré ne se fier qu’à lui-même pour sa politique de sécurité, ne faisant vraiment confiance à aucun engagement extérieur, qu’il s’agisse de ses adversaires arabes ou musulmans, de ses alliés occidentaux (qui lui procurent néanmoins une aide militaire et diplomatique substantielle), ou de la "communauté internationale". Vu le contexte, vu les menaces récurrentes de destruction dont Israël a fait l’objet dans le passé et encore tout récemment dans la bouche du nouveau chef de gouvernement de l’Iran, on peut comprendre et admettre cette attitude.

Mais comment ne pas voir -et le voir si possible à temps- que cette politique est condamnée à faire un jour ou l’autre le malheur de toute la région, à commencer par Israël lui-même ?

Elle est fondée sur la menace d’un génocide. Car les armes nucléaires, quel qu’en soit le mode d’emploi, ne sont pas et ne seront jamais (même "miniaturisées", ce qui est un aimable euphémisme) des armes comme les autres. Elles ne peuvent faire aucune distinction entre les combattants d’une guerre éventuelle et les civils. Elles frappent les vivants mais aussi, du fait de leur radioactivité, les générations futures. Deux des caractéristiques qui en font les instruments d’un crime contre l’humanité. Il est paradoxal, et ce "paradoxe"-là est gravissime, que l’Etat d’Israël, qui a justifié sa fondation en se référant au génocide de la Shoah et sans d’ailleurs se priver -encore un paradoxe- de recourir au terrorisme dont il est victime et qu’il condamne aujourd’hui, puisse agiter, fût-ce silencieusement, la menace de pratiquer des massacres de masse.

Il est vrai que le caractère absolument intolérable de ces armes de destruction massive (et des autres, chimiques ou biologiques) vaut pour tous ceux qui en possèdent, donc aussi, parmi d’autres, pour la France. On aimerait que celle-ci en tire la conclusion qui s’impose, d’autant plus facilement dans son cas qu’elle est loin, à la différence d’Israël, d’être menacée dans son existence même.

Telle est probablement la raison ultime pour laquelle le gouvernement israélien cherche à neutraliser Vanunu en le gardant sous contrôle permanent : l’obstination de Vanunu à soulever le problème moral que posent les armes nucléaires. Faut-il y voir aussi la raison pour laquelle le président Chirac éprouve si peu d’empressement à lui accorder, comme la loi l’y autorise, la nationalité française qu’il a sollicitée par notre intermédiaire ? Depuis plus d’un an, nous attendons encore la réponse du chef de l’Etat français.

Et pourtant, quand bien même les tenants de la "Realpolitik" se moqueraient, aux deux bords de la Méditerranée, de toute considération morale, il leur faudra nécessairement aboutir à la même conclusion : un monde et un Moyen-Orient dont la paix ou plutôt l’état de non-belligérance généralisée est censé dépendre de la présence d’armes nucléaires ne peuvent que s’embraser un jour ou l’autre dans une hécatombe de soleils artificiels. Censé dépendre, car dans les faits il n’en est rien : la possession d’armes nucléaires par Israël n’a empêché ni la guerre des Six jours de 1967 (dont Israël avait pris l’initiative, mais pour prévenir une attaque préparée et annoncée par le colonel Nasser), ni en octobre 1973 la guerre de Yom Kippour qui le prit par surprise (qu’elle ait ou non résulté, comme d’aucuns l’affirment, d’un calcul de cerveaux machiavéliques au sein de l’administration Nixon) et qui faillit aboutir à son écrasement, avant le retournement militaire qui aboutit à la déconfiture de l’Egypte. Quel recours serait-il alors resté à Israël, acculé à la mer ? L’emploi effectif et vengeur de ses armes nucléaires, dont la fonction dissuasive présumée avait bel et bien échoué, n’en déplaise aux "Realpoliticiens" adeptes de la prétendue dissuasion nucléaire. C’est-à-dire l’acte désespéré de Samson, seulement et salement propre à généraliser la catastrophe.

Le seul moyen d’éviter pareil embrasement est de s’engager le plus rapidement possible dans un processus précautionneux, méticuleux, et néanmoins déterminé, de désarmement nucléaire intégral, universel et strictement contrôlé, processus auquel aucun Etat ne pourra se soustraire. Il n’y a pas d’autre alternative.

Il est en effet évident qu’Israël ne pourra pas indéfiniment garder son monopole nucléaire au Moyen-Orient. Plusieurs Etats de la région sont parfaitement à même de s’en procurer rapidement, l’Iran n’étant que l’un des candidats suspectés de le vouloir. Si ce n’est lui ce sera donc son frère. Irakien ? Cela faillit être le cas, et il a fallu la "guerre du Golfe" pour l’empêcher d’y parvenir. Egyptien, syrien, saoudien, algérien ? Ou bien pakistanais ? Pakistanais, c’est déjà fait, et nul ne peut prédire que la portée de ses missiles de s’allongera pas, ni que l’orientation de son gouvernement ne changera pas. Au grand dam d’Israël qui a pourtant tout fait pour l’empêcher, la "bombe islamique" existe déjà. Et que dire des "frères islamiques" engagés à titre individuel dans une organisation terroriste comme AlQaïda, impossibles à "dissuader" de quoi que ce soit par la menace nucléaire, capables de "faire le travail" dans l’anonymat le plus discret, et de préparer eux aussi des explosions vengeresses ?

L’arme nucléaire a encore ceci de particulier qu’elle invite, sinon impose de "monter aux extrêmes". La "guerre totale" est son horizon. Or, comme l’écrivait Hannah Arendt en 1948, peu avant la création de "l’Etat juif" : "Il y a peu d’illusions à se faire sur l’issue finale d’une guerre totale entre Arabes et Juifs. On peut gagner de nombreuses batailles sans gagner la guerre". Des batailles, Israël, une fois créé, a dû en livrer de nombreuses, et certes, s’il en a perdu certaines et gagné beaucoup, il a réussi à leur survivre en tant qu’Etat et même à s’agrandir. Mais voici le résultat de cet état de guerre permanente, tel que le prévoyait Hannah Arendt (Cf. Hannah Arendt, Penser l’événement, Belin édit.) il y a plus d’un demi-siècle :

"Et même si les Juifs devaient gagner la guerre, la fin du conflit verrait la destruction des possibilités uniques et des succès uniques du sionisme. Le pays qui naîtrait alors serait quelque chose de tout à fait différent du rêve des Juifs du monde entier, sionistes et non sionistes. Les Juifs "victorieux" vivraient environnés par une population arabe entièrement hostile, enfermés dans des frontières constamment menacées, occupés à leur auto-défense physique au point d’y perdre tous leurs autres intérêts et leurs autres activités. Le développement d’une culture juive cesserait d’être le souci du peuple entier ; l’expérimentation sociale serait écartée comme un luxe inutile ; la pensée politique serait centrée sur la stratégie militaire ; le développement économique serait exclusivement déterminé par les besoins de la guerre. Et tout cela serait le destin d’une nation qui, quand bien même elle absorberait de plus en plus d’immigrants et repousserait de plus en plus loin ses frontières (...) resterait néanmoins un tout petit peuple largement inférieur en nombre à ses voisins hostiles.

"Dans de telles circonstances (...), les Juifs de Palestine dégénéreraient en l’une de ces petites tribus guerrières sur les possibilités et l’importance desquelles l’histoire, depuis l’époque de Sparte, nous a amplement informés."

Peut-on imaginer plus juste description de ce qu’allait devenir Israël ? Mis à part peut-être ce qui concerne le développement de la culture juive (encore qu’elle ne soit sans doute pas "le souci du peuple entier", absorbé qu’il est par les effets économiques et sociaux d’une économie de guerre et par le souci permanent de la menace militaire), tout semble s’être vérifié. Or, si le pronostic était juste, il faut admettre que le diagnostic sur lequel il reposait l’était aussi. Le "foyer national juif" n’aurait pas dû céder la place à "l’Etat juif", selon Hannah Arendt qui y voyait, parce qu’il était fondé sur la spoliation des populations palestiniennes, la source prévisible des maux qu’elle décrit.

Maintenant, l’existence d’Israël est un fait incontournable. On peut toujours rêver, comme le faisait parmi d’autres Hannah Arendt, d’une fédération israélo-palestinienne qui serait un Etat laïque, tolérant, pluri-ethnique et pluri-culturel. C’est peut-être la solution d’avenir -aux peuples concernés de le dire-, celle qui en pacifiant les coeurs et les esprits, ferait reculer des deux côtés le fanatisme politico-religieux, terreau du terrorisme comme des conflits d’Etats. On en est loin, comme d’ailleurs de toute autre solution pacifique. Mais c’est précisément la possession d’armes nucléaires par Israël qui, sans tout expliquer bien entendu, entretient le feu sous la marmite.

Ainsi, Mordechai Vanunu a beau dénoncer la politique menée par le gouvernement israélien, par exemple ce qu’il appelle "le mur de l’apartheid", et être encore perçu par certaines fractions de l’establishment politico-militaire comme un ennemi intérieur assigné à résidence, qu’on doit surveiller étroitement à défaut de s’en débarrasser par des méthodes expéditives, c’est peut-être le meilleur ami que puisse compter Israël. Car l’arme nucléaire n’est pas une arme de dissuasion ni de survie, c’est une arme de suicide collectif.

Or, comme l’écrivait encore Hannah Arendt, en 1942 et dans un tout autre contexte, "de même qu’un homme menacé par des assassins ne devrait pas accorder sa confiance à l’ami qui lui proposerait, pour s’en sortir, de se suicider, de même les Juifs ne devraient pas croire ces faux amis qui cherchent à les convaincre que le suicide collectif est le plus sûr chemin vers la sécurité collective."

En 1942, il s’agissait pour les Juifs de s’armer pour se battre. En 2005, il s’agit au contraire pour les Israéliens, non pas de rendre toutes leurs armes, mais de rendre celles qui ne leur permettront jamais que de se suicider, quand bien même ce serait en suicidant les autres. Il va sans dire qu’il serait mal venu de leur demander de le faire sans qu’ils obtiennent au préalable l’absolue garantie que les autres ne s’en procureront pas ni ne chercheront à les éliminer, que ce soit par des moyens conventionnels ou par d’autres armes de destruction massive. Cela implique bien entendu une solution globale des conflits isréalo-palestinien et israélo-arabe. Certaines prémisses du règlement qui pourrait y conduire, bien que fragiles, sont peut-être déjà là. Il en manque au moins une, pourtant essentielle : la dénucléarisation du Moyen-Orient. Laquelle ne peut se faire hors d’un processus encore plus global, portant sur l’abolition de toutes les armes nucléaires. Nous sommes condamnés à réaliser cette "utopie", car ce qui est réellement utopique, c’est de croire que l’humanité, assise sur une poudrière de quelque 30 000 armes nucléaires, pourra éternellement éviter l’étincelle qui en provoquera l’explosion. D’ores et déjà, alors même que la prolifération est en passe de s’étendre, les ingrédients de l’étincelle sont réunis en plusieurs régions du globe, dont le Moyen-Orient.

Pour approfondir l’analyse de ces questions, nous avions invité Mordechai Vanunu à participer aux 1e Rencontres Internationales pour le Désarmement Nucléaire, Biologique et Chimique qui ont eu lieu à Saintes (France) en octobre 2004. Il était prêt à venir. Mais le gouvernement d’Ariel Sharon, que nous avions également invité à se faire représenter, en a décidé autrement en maintenant à son encontre l’interdiction de sortir du territoire israélien.

Aujourd’hui, nous renouvelons publiquement cette double invitation pour les 2e Rencontres internationales de ce type (2e RID-NBC), qui se tiendront à nouveau à Saintes du 6 au 8 mai 2006.

Si le gouvernement israélien ne décide pas prochainement de donner à Vanunu le droit de quitter Israël, nous espérons que le réexamen annuel dont les restrictions qui le frappent doivent faire l’objet en avril 2006 en sera l’occasion. Le seul fait qu’un dialogue libre et serein puisse enfin s’instaurer, en terre étrangère, en "terrain neutre" et en présence d’observateurs internationaux, entre le gouvernement israélien et l’un des opposants les plus déterminés à sa politique actuelle, serait un formidable signe d’espoir pour tous les hommes de bonne volonté, où qu’ils soient, qui souhaitent ramener la paix là où meurent, chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants de chair et d’os et de toutes convictions.

SHALOM.

Saintes, le 23 novembre 2005,

Jean-Marie Matagne, président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire

ACDN

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