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Ventes d’armes et langue de bois : la tartuferie française

Questions à Florence Parly, ministre des armées


Publié le 18 juin 2020

Lettre à Mme Florence Parly, ministre des armées
Le 18 juin 2020

Copie à :
M. le Président de la République
M. le Premier ministre
M. le Ministre des Affaires étrangères
M. le Président du Conseil constitutionnel
M. le Vice-Président du Conseil d’Etat
M. le Défenseur des droits
M. Christophe Bouillon
Mmes et MM. les Députés et Sénateurs
AFP, presse et médias
***

Objet : Vente d’armes françaises à des pays en guerre,
Votre réponse à M. Christophe Bouillon, Député,
Stratégie nucléaire de la France

Madame la Ministre,

Merci d’avoir su vous entourer d’experts aussi brillants dans l’art de la langue de bois.

M. Christophe Bouillon, député de la Seine Maritime, vous avait posé une question relative aux ventes d’armes à l’Arabie Saoudite (Question écrite N° 24666 publiée au JO le 26 novembre 2019, page 10216). Cette question argumentée, claire et précise, tenait en 1212 caractères (espaces compris). Elle attendait une réponse non moins claire et précise.

Il aura fallu à vos collaborateurs et vous-même plus de 6 mois et 4280 caractères (espaces compris) pour ne pas lui répondre et noyer le poisson (Réponse publiée au JO le 9 juin 2020, page 4028).

Evoquant la guerre au Yémen, M. Bouillon vous avait demandé "la suspension des transferts d’armes en direction des pays de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite" parce que cette coalition employait ces armes "contre les populations civiles, premières victimes du conflit engagé au Yémen, depuis 2015, et qualifié de "pire crise humanitaire du monde" par l’ONU". Il vous avait demandé également "que les moyens du contrôle du Gouvernement exercé par les parlementaires puissent se faire sur la base de rapports sur les contrats d’armement plus transparents".

"S’agissant de la guerre au Yémen", donc, vous avez réussi l’exploit de suggérer que si la France a accordé des licences d’exportation d’armes en faveur de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis, engagés dans ce conflit depuis 2015, c’était pour les aider à protéger leurs populations d’agressions qui "peuvent provenir du Yémen, ou d’ailleurs", mais dont les seuls exemples que vous citez sont des actes hostiles perpétrés contre leurs intérêts matériels par l’Iran en 2019 !

Quant au fait que l’Arabie Saoudite et ses alliés aient employé contre la population yéménite des armes françaises, vous ne le niez pas, vous n’en parlez même pas, mais vous prétendez en exonérer la France en nous assurant de sa "particulière vigilance", sa "particulière attention" envers les "risques de détournement, vers des tiers, des armes exportées, et ceux liés à l’emploi d’armements à l’encontre des populations civiles ou dans des conditions contraires au droit international humanitaire".

Et vous invoquez pour finir la "transparence" du "rapport annuel sur les exportations d’armement" censé permettre au Parlement d’effectuer un contrôle a posteriori. Mais c’était précisément ce manque de transparence que le député Bouillon reprochait au gouvernement, et ce n’est certainement pas avec une telle réponse, où pas un mot n’est dit des contrats d’armement passés avec l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, ni de l’usage que ces derniers ont fait et continuent de faire de ces armes au Yémen, que vous nous convaincrez du contraire.

Moyennant ce sinistre silence, les Emirats Arabes Unis ont été habilités à sponsoriser des "Jeux de Paix" au 2e Forum de Paris sur la Paix, le 12 novembre 2019. A ce stade, ce n’est plus de la mauvaise foi, c’est du cynisme, de la complicité de crime contre l’humanité !

Vous vous moquez du monde, Madame la ministre, tout comme lorsque vous vantez, dans un tweet du 24 mars 2020, "l’engagement" d’un "A330 Phénix" de l’Armée de l’Air pour un transport de victimes du coronavirus de l’hôpital de Mulhouse à l’hôpital de Brest, puis engagez le même avion le 31 mars suivant pour simuler dans le ciel de Bretagne une frappe nucléaire, avec d’autres avions dont l’un armé d’un missile d’une puissance de 300 Kt (20 fois Hiroshima) !

Combien de millions de morts les quelques malades transportés par l’Armée de l’Air en temps de pandémie autoriseront-ils les armées françaises à faire à l’étranger -et par rétorsion, en France- dans le "monde d’après" ? Les Français vont-ils devoir encore longtemps financer cette folie criminelle ?

Cf. "Un monde nouveau ? Poisson d’avril !"

Christophe Bouillon n’est pas le seul élu à soulever des questions. Dans une vidéo de 6 minutes que vous devriez regarder, Madame la ministre, le député Sébastien Nadot dénonce à propos des ventes d’armes de la France "un mensonge d’État". Celui-ci va de pair avec la stratégie nucléaire de la France, dont votre prédécesseur M. Paul Quilès ne cesse de dénoncer les mensonges et les mythes.

Vous êtes, Madame la ministre, un bel exemple du double langage, du double jeu, de la tartuferie et du cynisme français en matière de respect du droit international humanitaire comme en matière de désarmement, conventionnel ou nucléaire. Il n’y a pas là de quoi être fier. En tant que citoyens, nous avons honte de cette France-là.

Dans le "monde d’après" où nous entrons, Madame, le gouvernement dont vous êtes doit changer en urgence de discours et de posture, ou plutôt, d’imposture : conformer la politique de défense de la France à ses engagements, à sa Constitution, aux valeurs de la République, et simplement à la raison.

"Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison." (Albert Camus, Combat, 8 août 1945)

Pour ACDN
Jean-Marie Matagne
Président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire

contact@acdn.net

***

Question soumise le 26 novembre 2019 à Mme la ministre des armées
Par M. Christophe Bouillon, député de la Seine Maritime, JO du 26 novembre 2019

M. Christophe Bouillon interroge Mme la ministre des armées au sujet des ventes d’armes françaises dans les pays où elles peuvent être utilisées contre les civils. La France a pris la décision d’interrompre les exportations d’armes vers la Turquie eu égard au conflit engagé dans le nord de la Syrie. Toutefois, la vente d’armes françaises à certains pays aux méthodes controversées, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, se poursuit. Pourtant, plusieurs éléments semblent concourir au fort soupçon de l’usage d’armes françaises par le régime saoudien et ses alliés contre les populations civiles, premières victimes du conflit engagé au Yémen, depuis 2015, et qualifié de « pire crise humanitaire du monde » par l’ONU. En octobre 2018, le conflit yéménite a conduit l’Allemagne à geler les exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite ; en juin 2019, la Grande-Bretagne l’a imitée. Il lui demande donc la suspension des transferts d’armes en direction des pays de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Il lui demande également que les moyens du contrôle du Gouvernement exercé par les parlementaires puissent se faire sur la base de rapports sur les contrats d’armement plus transparents.

Réponse émise le 9 juin 2020
Par Mme la ministre des armées, JO du 9 juin 2020

S’agissant de la Turquie, lors de la réunion du Conseil du 14 octobre 2019, les ministres des affaires étrangères des États membres de l’Union européenne ont débattu de l’action militaire menée par la Turquie dans le nord-est de la Syrie et ont adopté plusieurs conclusions. Parmi celles-ci figure l’engagement pris par les États membres « en faveur de positions nationales fortes en ce qui concerne leur politique d’exportation d’armements vers la Turquie, en se fondant sur la disposition de la position commune 2008/944/PESC concernant le contrôle des exportations d’armements, y compris l’application stricte du quatrième critère, relatif à la stabilité régionale. ». La France de son côté avait décidé, dès le 12 octobre, l’adoption de mesures restrictives concernant l’exportation d’armement pouvant être utilisé par la Turquie dans son offensive, en suspendant près de 500 licences en cours de validité, mais également en refusant les licences à venir. S’agissant de la guerre au Yémen, il convient de rappeler que l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis sont contraints de défendre leurs territoires, face à des agressions territoriales, et contre leur population civile. Ces agressions peuvent provenir du Yémen, ou d’ailleurs, comme l’ont montré les attaques iraniennes contre un site pétrolier majeur en Arabie, et le minage de plusieurs navires au large des Emirats. Dans ce contexte, ces deux pays bénéficient du soutien d’autres partenaires occidentaux dans leur combat contre le terrorisme et pour assurer leur propre sécurité. Il apparaît donc tout à fait légitime d’autoriser certaines exportations et de considérer, le cas échéant, des mesures de remédiation des risques d’utilisation inappropriée, conformément aux règles et aux principes fixés par le droit international applicable. La France est ainsi particulièrement vigilante sur les risques de détournement, vers des tiers, des armes exportées, et ceux liés à l’emploi d’armements à l’encontre des populations civiles ou dans des conditions contraires au droit international humanitaire. D’une manière générale, une attention particulière est portée sur l’ensemble des risques et de leurs conséquences potentiellement négatives, à l’occasion de toute demande d’autorisation d’exportation d’armes, et ce, en conformité avec les engagements internationaux de la France. Cette instruction repose sur une analyse au cas par cas systématique des demandes de licence. Une étude est en effet conduite pour chaque type d’équipement, sur la base de critères renforcés, dans le respect du droit international humanitaire. Seules sont accordées les demandes relatives à la satisfaction des besoins légitimes des pays concernés, et ne contrevenant pas aux engagements internationaux de la France, dont la position commune 2008/944/PESC, adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 8 décembre 2008, qui définit des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologies et d’équipements militaires, ainsi que le Traité sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014. La délivrance des autorisations d’exportation prend ainsi en compte un ensemble de considérations s’inscrivant dans le respect de nos engagements internationaux et celui des embargos sur les armes imposées par les organisations internationales. Elle prend également en compte les enjeux de stabilité et de sécurité régionales ou internationales, pour la protection de nos forces, ainsi que celles de nos alliés. Enfin, le rapport annuel sur les exportations d’armement, qui est transmis aux membres du Parlement depuis le début des années 2000, présente, dans les faits, la politique de contrôle des exportations mise en œuvre par le Gouvernement, pour chaque pays destinataire, et pour chaque catégorie de matériel considéré. Ce rapport détaille en particulier les autorisations délivrées, les prises de commande, les principaux contrats, ainsi que les livraisons effectuées. Cet exercice de transparence de l’action gouvernementale vis-à-vis de la représentation nationale permet donc au contrôle parlementaire de s’exercer a posteriori, notamment dans le cadre du débat en Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, à l’occasion de la présentation de ce rapport.