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1er février 2008
Lettre ouverte au Premier ministre britannique, Gordon Brown

par Jean-Marie Matagne, président d’ACDN


Publié le 7 février 2008

Monsieur le Premier ministre,

Le 21 janvier 2008, vous avez prononcé devant la Chambre de commerce de Delhi un discours d’une rare importance. Puisque vous appeliez de vos vœux l’intervention active de la société civile, permettez-nous de vous exprimer publiquement la réaction que ce discours nous inspire.

Parmi les nombreux défis auxquels l’humanité doit faire face et dont vous avez brossé le tableau, il en est un qui préoccupe notre association depuis sa fondation en 1996 : le danger inhérent aux armes de destruction massive, en particulier nucléaires. A ce propos, vous avez souligné à juste titre que « le monde, aujourd’hui, n’est pas en mesure de répliquer comme nous le devrions à la dissémination des armes de destruction massive ».

Vous adressant à un auditoire indien mais aussi au public international, vous avez ajouté : « Face aux graves défis lancés par l’Iran et la Corée du Nord, nous devons envoyer à tous les membres de la communauté internationale un signal fort, pour signifier que la course aux armes de destruction nucléaires -leur prolifération horizontale et verticale- est terminée. L’expiration des derniers accords de désarmement en vigueur entre les Etats-Unis et la Russie, l’existence prolongée de leurs vastes arsenaux, l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations pour un traité de neutralisation des matériaux fissiles et le Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires, doivent être affrontées. »

Ce disant, vous avez annoncé que la Grande-Bretagne était prête à apporter son « expertise » en vue de « déterminer les conditions requises pour vérifier l’élimination des têtes nucléaires ».

Enfin et surtout, vous avez promis que « pendant la période préparatoire à la Conférence de révision du Traité de Non Prolifération qui aura lieu en 2010 », vous seriez « en première ligne de la campagne internationale pour accélérer le processus de désarmement parmi les Etats détenteurs d’armes nucléaires, pour prévenir l’apparition de celles-ci dans de nouveaux Etats, et pour aboutir finalement à un monde libéré des armes nucléaires ».

Nous voulons croire à cette promesse qui pourrait amorcer un tournant décisif dans l’histoire de l’ère nucléaire. En la prononçant, vous avez repris le flambeau brandi pour la première fois par Mikhaïl Gorbatchev en janvier 1986, lorsqu’il avait lancé le mot d’ordre : « Plus aucune arme nucléaire d’ici l’an 2000 ! ». C’est ce qui nous a fait prendre au sérieux votre discours de Delhi, nous incitant, dès que nous en avons eu connaissance, à attirer sur lui l’attention de nos collègues du réseau mondial « Abolition 2000 », l’un de ces réseaux dont vous vantez la capacité d’intervention et qui se trouve précisément dédié à l’abolition des armes nucléaires.

Il est curieux que votre discours ait rencontré jusqu’à présent le scepticisme de la plupart de nos amis anglo-saxons, y compris de vos compatriotes. L’avenir dira s’ils ont raison. Faut-il donc être naïf et Français pour croire encore aux promesses d’un dirigeant de « la perfide Albion » ? Faut-il que vous recrutiez vos supporters de ce côté-ci de la Manche ? Après tout, peu importe. Nous préférons nous obstiner dans notre naïveté - au moins jusqu’à la réunion du Comité préparatoire à la conférence de révision du TNP de 2010 qui se tiendra à Genève du 28 avril au 9 mai 2008.

C’est là, Monsieur le Premier ministre, que l’histoire vous attend, là que le Royaume Uni aura l’occasion de prouver la valeur de la promesse faite par vous le 21 janvier à Delhi, deux jours avant que le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, n’exhorte à Genève la Conférence du désarmement à sortir de l’impasse, en disant : « Le désarmement et la non-prolifération sont étroitement liés à la mission même des Nations Unies. Ils sont largement reconnus comme indispensables à la réalisation du maintien de la paix et de la sécurité internationales, un principe au cœur de la charte des Nations unies. »

Ainsi, que ce soit devant la Conférence du désarmement ou devant le Comité préparatoire à la VIIIe Conférence de révision du TNP, le Royaume Uni a la possibilité de prouver rapidement par des actes sa détermination à appliquer l’article VI du TNP. Il peut amener les autres Etats nucléaires à négocier enfin les étapes et les modalités -notamment « les conditions requises pour vérifier l’élimination des têtes nucléaires »- d’un plan d’élimination de leurs arsenaux, étant entendu que ce plan devra inclure et associer les Etats nucléaires de facto comme Israël, l’Inde, le Pakistan ou la Corée du Nord.

Nous pensons comme vous que ce serait là un signe fort en direction des Etats non dotés de ces armes mais tentés, comme l’Iran peut-être, d’accéder un jour au statut de puissance nucléaire. Nous espérons qu’en pareil cas la France rejoindrait le Royaume Uni. Le gel des programmes de modernisation de leurs arsenaux respectifs -le remplacement des Trident chez vous, le développement du missile M51 chez nous, par exemple- donnerait de la crédibilité à cette démarche, sans préjuger en rien du résultat des négociations ultérieures.

Nous nous réjouissons aussi que la Grande Bretagne veuille travailler au désarmement conventionnel parallèlement au désarmement nucléaire.

Permettez-moi cependant de soulever quelques questions que nous ne sommes pas seuls à nous poser :

-1. Vous dites vouloir « aboutir finalement à un monde libéré des armes nucléaires » (« to ultimately achieve a world that is free from nuclear weapons »).

— > Pour quand envisagez-vous cet « ultime achèvement » ? S’il ne s’agit pas de la Saint Glinglin ni du Jugement dernier, s’agit-il d’une date voisine de celle avancée par les « Maires pour la Paix » : 2020 ?

-2. Constatant à travers le monde « un intérêt accru pour l’énergie nucléaire civile », vous faites remarquer qu’il « comporte un risque de prolifération à des fins militaires ». C’est un avis largement partagé, y compris par le directeur de l’AIEA. Et pourtant celle-ci n’est pas parvenue à juguler le risque, comme le prouvent les affaires relatives à la Corée du Nord et à l’Iran, sans parler d’Israël, de l’Inde et du Pakistan.

— > Quel type d’ « engagement concernant l’enrichissement de l’uranium » comptez-vous donc proposer aux Etats non nucléaires, et comment pensez-vous obtenir de leur part (et vérifier ensuite) « de fermes engagements répondant aux normes les plus élevées de non-prolifération » ?

-3. Soulignant l’urgente nécessité de combattre le changement climatique et la dégradation de l’environnement, vous proposez la création d’un fonds en faveur du « développement soutenable » des pays en voie de développement. Cette idée, que notre association soutient, a déjà été avancée et précisée par le réseau Abolition 2000 et par M. Gorbatchev.

— > Seriez-vous favorable à ce que l’ONU retire à l’AIEA sa mission de promotion de l’énergie nucléaire civile et affecte les fonds afférents, pour partie à sa mission de contrôle qui serait étendue au désarmement nucléaire, pour partie à une nouvelle Agence de l’ONU qui se consacrerait à la promotion des énergies renouvelables et des économies d’énergie ?

-4. Bien que ses partisans la présentent abusivement comme un moyen de lutter contre le réchauffement climatique, l’énergie nucléaire n’est manifestement pas compatible avec « le développement soutenable » : elle n’est pas durable, puisque le minerai d’uranium sera épuisé dans quelques décennies ; elle contribue gravement -et pour l’éternité- à la dégradation de la santé publique et de l’environnement par ses rejets radioactifs, ses déchets dont on ne sait que faire, ses risques d’accidents, ses risques liés au terrorisme.

— > Seriez-vous prêt à soutenir la solution qui permettrait de trancher le nœud gordien du nucléaire civil et militaire : le renoncement de tous les Etats qui n’en ont pas encore à l’énergie nucléaire, et la sortie organisée du nucléaire, tant civil que militaire, pour tous les autres (France et Grande-Bretagne comprise) ?

En 2006, afin de contribuer à une solution pacifique de la crise iranienne, nous avions soumis cette solution à l’ambassadeur d’Iran à Paris, puis à la délégation diplomatique iranienne qui prit part aux Rencontres internationales pour le désarmement nucléaire, biologique et chimique (RID-NBC) que notre association organise tous les deux ans depuis 2004 avec la ville de Saintes.

Les 3e RID-NBC auront lieu à Saintes du 9 au 11 mai 2008. Toutes les questions abordées ici, et quelques autres, y seront publiquement discutées par des experts, des personnalités, des diplomates et des militants du mouvement international pour l’abolition des armes nucléaires, qui seraient certainement prêts à vous apporter leur soutien dans leur propre pays, si l’intention que vous avez affichée à Delhi se confirme d’ici là.

(...)

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre respectueuse considération.

Saintes, le 1er février 2008

Pour ACDN,

Jean-Marie Matagne, président

Lettre ouverte

Mr Gordon Brown

- Prime Minister
- 10, Downing Street
- London
- United Kingdom