Le candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis a répondu aux questions détaillées d’« Arms Control Today » (ACT) sur le désarmement nucléaire, la non prolifération, la sécurité internationale et la politique de défense des Etats-Unis. A chaque élection présidentielle depuis plus de 30 ans, ACT soumet aux candidats des deux grands partis (démocrate et républicain) un questionnaire relatif au contrôle des armements. Les réponses de Barack Obama sont parvenues le 10 septembre dernier à la rédaction d’ACT, qui les a publiées sur son site. Le sénateur de l’Illinois s’engage clairement en faveur de l’abolition des armes nucléaires. John Mc Cain, sénateur de l’Arizona et candidat républicain, a laissé, quant à lui, le questionnaire sans réponse. Celui-ci comprenait 12 items. ACDN a traduit et publie ci-dessous les réponses de Barack Obama aux six premières questions, qui revêtent un caractère général. Les suivantes concernent la politique des Etats-Unis envers la Chine (deux), la Corée du Nord, l’Iran, l’Inde et le Pakistan, enfin les bombes à fragmentation, les mines anti-personnel et le commerce des armes.
ACT : Des dizaines de dirigeants politiques US de premier plan, conduits par l’ancien Secrétaire d’Etat (ministres des Affaires étrangères) George Shultz et par le sénateur démocrate Sam Nunn, pressent les Etats-Unis de conduire le monde vers le désarmement nucléaire en passant par des étapes comme la ratification du CTBT (Comprehensive Test Ban Treaty, ou TICE : Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires), la mise hors d’alerte immédiate des forces nucléaires, l’élimination des armes nucléaires tactiques, y compris les bombes US stationnées en Europe. Soutenez-vous le but du désarmement nucléaire, et quelles actions devraient-elles, selon vous, être entreprises en priorité pour progresser vers cet objectif ou réduire l’ensemble des dangers nucléaires ?
Obama : En tant que président, je donnerai à notre politique nucléaire militaire une nouvelle orientation et je montrerai au monde que l’Amérique prend au sérieux l’engagement qu’elle a effectivement contracté sous le Traité de Non Prolifération nucléaire de travailler à l’élimination complète et définitive des armes nucléaires. Je soutiens pleinement la réaffirmation de ce but, conformément à l’appel de George Shultz, Henry Kissinger, William Perry et Sam Nunn, de même que les étapes spécifiques qu’ils proposent pour nous en rapprocher. [1] J’ai bien précisé que l’Amérique ne désarmerait pas unilatéralement. En effet, aussi longtemps que des Etats conserveront des armes nucléaires, les Etats-Unis maintiendront une dissuasion nucléaire forte, sûre, sécurisée et fiable. Mais je n’autoriserai pas le développement de nouvelles armes nucléaires. Et je ferai de l’objectif d’éliminer les armes nucléaires à travers le monde un élément central de la politique nucléaire des Etats-Unis.
Pour progresser vers ce but, je chercherai à obtenir des réductions réelles et vérifiables de toutes les armes américaines et russes, qu’elles soient en réserve ou déployées, stratégiques ou non-stratégiques, et à travailler avec les autres puissances nucléaires à réduire l’ensemble des stocks de manière spectaculaire d’ici à la fin de ma présidence. En premier lieu, je chercherai l’accord de la Russie afin de proroger les mesures de surveillance et de vérification prévues par le traité de réduction des armes stratégiques START 1, avant son expiration en décembre 2009. Je travaillerai avec la Russie à augmenter d’une façon mutuellement vérifiable le délai d’alerte et de décision avant tout lancement d’armes nucléaires.
J’initierai un dialogue au plus haut niveau entre tous les Etats déclarés comme étant dotés d’armes nucléaires, sur les moyens de rendre leurs capacités nucléaires plus transparentes, de créer une plus grande confiance, et de se diriger vers des réductions significatives et l’élimination éventuelle de toutes les armes nucléaires. En tant que président, je tendrai la main au Sénat pour obtenir dès que possible la ratification du CTBT (Traité d’interdiction complète des essais nucléaires), puis je lancerai un effort diplomatique pour faire monter à bord les autres Etats dont la ratification est requise pour que le traité puisse entrer en vigueur. Enfin, je conduirai un effort global pour négocier un traité vérifiable mettant fin à la production de matériaux fissiles à des fins militaires et je travaillerai avec les autres gouvernements intéressés à établir une nouvelle architecture pour l’énergie nucléaire.
ACT : Quel rôle, s’il y a lieu, les armes nucléaires devraient-elles jouer dans la politique de sécurité des Etats-Unis ? Les têtes et les systèmes d’armes nucléaires dont ceux-ci disposent actuellement peuvent-ils remplir ce rôle, ou bien pensez-vous que de nouvelles têtes et de nouvelles capacités sont nécessaires ?
Obama : L’objectif le plus important au regard des armes nucléaires est de faire tout ce qu’on peut pour empêcher l’usage de telles armes, où que ce soit dans le monde. Tant que des armes nucléaires existeront, les Etats-Unis devront conserver les leurs pour empêcher que cela n’arrive. Mais nous devons faire plus. Je restaurerai le leadership de l’Amérique pour réduire le rôle des armes nucléaires et travailler à leur élimination ultime. Un monde libéré des armes nucléaires est un monde dans lequel la possibilité de leur usage n’existera plus.
Tant que des armes nucléaires existeront, je conserverai une dissuasion nucléaire forte, sûre, sécurisée et fiable pour nous protéger, ainsi que nos alliés. Mais je n’autoriserai pas le développement de nouvelles armes nucléaires et des capacités qui leur sont liées. Et je ferai de l’objectif d’éliminer les armes nucléaires à travers le monde un élément central de la politique nucléaire des Etats-Unis.
ACT : De nombreux américains craignent que des terroristes n’acquièrent des armes biologiques, chimiques ou nucléaires et ne les utilisent contre les Etats-Unis, leurs troupes ou leurs alliés. Que faudrait-il faire de plus pour éviter à cette tragique éventualité de se produire ?
Obama : La façon de penser traditionnelle n’a pas réussi à suivre les menaces nucléaires, chimiques et biologiques. Aujourd’hui nous sommes confrontés à la possibilité que des terroristes acharnés à notre destruction possèdent une arme nucléaire ou des matériaux pour faire une bombe. Nous avons besoin d’un président qui comprenne ces nouvelles menaces sur notre sécurité et qui ait des stratégies efficaces pour les contrer. Dès mon arrivée au Sénat, j’ai travaillé avec le sénateur républicain de l’Indiana Dick Lugar et d’autres sénateurs de son camp à accroître nos efforts pour arrêter le trafic de matériaux nucléaires et pour mettre les armes nucléaires et conventionnelles hors de portée des terroristes.
En tant que président, je conduirai un effort mondial pour sécuriser en quatre ans tous les matériaux nucléaires de qualité militaire présents dans des sites vulnérables - un moyen décisif d’empêcher que des terroristes acquièrent une bombe nucléaire. Je poursuivrai avec la Russie et d’autres pays cet effort en vue de définir et d’appliquer un ensemble complet de règles de protection des matériaux nucléaires contre le vol. J’entends également faire sortir du secteur civil l’uranium hautement enrichi ; renforcer les efforts de police et d’interdiction ; assurer la capacité de l’Etat d’empêcher le vol, le détournement ou la dispersion de matériaux nucléaires ; et convoquer un sommet sur les moyens de prévenir le terrorisme nucléaire.
De même, les armes biologiques présentent un risque sérieux et croissant pour la sécurité nationale. Pour prévenir d’éventuelles attaques bioterroristes, je compte renforcer la collecte à l’étranger de renseignements permettant d’identifier à l’avance d’éventuels bioterroristes et de leur interdire de frapper, je compte aider les Etats à remplir leurs obligations selon la résolution 1540 [2] du Conseil de sécurité et selon la Convention sur les armes biologiques, renforcer la coopération avec les agences de renseignement étrangères et celles chargées de faire appliquer la loi, nous rendre capables, en cas d’attaques bioterroristes, d’en atténuer les conséquences, améliorer au niveau local et fédéral les mesures d’urgence en cas de catastrophes, enfin accélérer le développement de nouveaux médicaments et de nouveaux vaccins, ainsi que nos capacités de production.
ACT : Certains pays expriment un intérêt accru pour l’énergie nucléaire au moment où l’on s’inquiète davantage de voir la diffusion des technologies et de l’expertise nucléaires à des fins énergétiques contribuer à des choix ou des programmes militaires secrets. Que peut-on faire pour empêcher des pays d’acquérir des capacités dont ils pourraient user de façon occulte pour produire des armes nucléaires, en particulier les technologies et le savoir-faire relatifs à l’enrichissement de l’uranium et au retraitement des combustibles usés ?
Obama : Notre sécurité nucléaire comme celle de nos alliés exige que l’expansion des réacteurs nucléaires destinés à la génération d’électricité ne s’accompagne pas de celle des installations sensibles liées au cycle du combustible, qui peuvent servir à produire du plutonium et de l’uranium de qualité militaire. En tant que président, empêcher le combustible nucléaire de devenir des bombes atomiques sera pour moi une priorité majeure. Je coopérerai avec les autres gouvernements concernés pour établir une nouvelle architecture internationale de l’énergie nucléaire - dont une banque internationale du combustible nucléaire, des centres internationaux de production du combustible nucléaire et des garanties fiables de fourniture de combustible - afin de satisfaire la demande croissante d’énergie nucléaire sans contribuer pour autant à la prolifération des matériaux fissiles et des installations de production de combustible. Un système international garantissant à chacun l’accès au combustible à un prix raisonnable inciterait les pays en voie de développement à penser qu’ils n’ont pas besoin d’installations nucléaires sensibles liées au cycle du combustible pour faire croître leurs économies, tout en enclenchant la pression sur certains pays qui cherchent à masquer leurs ambitions nucléaires militaires.
ACT : Le traité START arrive à expiration le 5 décembre 2009 et le traité SORT (Strategic Offensive Reductions Treaty), également connu sous le nom de traité de Moscou, arrivera à échéance le 31 décembre 2012. Les Etats-Unis et la Russie devraient-ils poursuivre le processus de négociation sur les réductions d’armes nucléaires par des accords bilatéraux vérifiables ou bien gérer leurs relations nucléaires par d’autres moyens ? Comment les deux pays devraient-ils s’y prendre pour minimiser la défiance stratégique et dépasser des décennies de compétition stratégique ?
Obama : Les Etats-Unis et la Russie devraient chercher à faire des réductions réelles et vérifiables de toutes leurs armes nucléaires, déployées ou non, stratégiques ou non. Je m’engage à travailler avec la Russie et les autres Etats nucléaires pour faire des coupes sombres dans les stocks mondiaux d’ici à la fin de mon premier mandat. Ce processus devrait commencer par obtenir l’accord de la Russie en vue de proroger les mesures capitales de surveillance et de vérification de START I avant son expiration en décembre 2009. En tant que président, je retirerai aussi immédiatement du service toutes les forces nucléaires que le traité de Moscou [3] prévoit de réduire et je presserai la Russie d’en faire autant.
Garder les armes nucléaires prêtes à partir sur un ordre instantané est un dangereux reliquat de la Guerre froide. Une telle politique augmente le risque de catastrophe accidentelle ou d’erreur d’appréciation. Je crois que nous devons nous occuper de cette dangereuse situation - quelque chose que le président Bush avait promis de faire pendant sa campagne électorale, mais qu’il n’a pas fait une fois élu. Je coopérerai avec la Russie pour mettre un terme de façon mutuellement vérifiable à cette politique périmée, datant de la Guerre froide.
ACT : Les missiles balistiques peuvent servir à délivrer des armes biologiques, chimiques et nucléaires. Que devrait-on faire pour contrer les menaces représentées par les missiles balistiques, et quelle part de ces efforts devrait-on consacrer à développer des systèmes antimissiles, par exemple au déploiement d’intercepteurs de missile U.S. en Europe ou dans l’espace ?
Obama : Les armes nucléaires, biologiques et chimiques posent de sérieux problèmes de sécurité nationale, particulièrement lorsqu’elles sont délivrées par des missiles balistiques qui peuvent frapper notre territoire, nos troupes à l’étranger ou nos alliés. Les défenses antimissiles peuvent constituer une part importante d’un plan de réduction de ces dangers, mais elles doivent avoir prouvé leur efficacité et faire partie d’une approche globale se servant de toute la panoplie d’outils dont dispose une politique de non prolifération pour contrer toute la série de menaces auxquelles nous devons faire face. En tant que président, je commencerai par m’assurer qu’une défense antimissiles, y compris celle proposée à l’Europe, a prouvé son efficacité et qu’elle a le soutien de nos alliés, avant de la déployer. Je renforcerai également le régime de contrôle de la technologie des missiles et j’explorerai d’autres mesures de contrôle des armements pour réduire la menace des missiles balistiques.
Mais dans notre empressement à déployer des missiles balistiques, nous ne pouvons perdre de vue les véritables menaces du XXIe siècle. La plus grande menace nucléaire contre notre sécurité ne vient pas d’un Etat-voyou qui nous balancerait des missiles balistiques, mais d’un terroriste qui ferait passer en contrebande un engin nucléaire grossier. Nous dépensons plus de 10 milliards de dollars par an pour la défense anti-missiles, mais infiniment moins pour assurer la sécurité des matériaux nucléaires à travers le monde et pour améliorer la sécurité (y compris la détection) dans nos ports et à nos frontières. Nous devons concentrer nos défenses sur les menaces les plus probables.
Traduction française : Jean-Marie Matagne © Copyright ACDN
Notes explicatives d’Arms Control Today. Ces commentaires n’ont pas été fournis par le candidat et ne sauraient être considérés comme faisant partie de sa déclaration officielle.
1. George P. Shultz, William J. Perry, Henry A. Kissinger, et Sam Nunn, “A World Free of Nuclear Weapons” (“Un monde libéré des armes nucléaires””), The Wall Street Journal, 4 janvier 2007, p. A15 ; George P. Shultz, William J. Perry, Henry A. Kissinger, and Sam Nunn, “Toward a Nuclear-Free World” (“Vers un monde sans armes nucléaires”), The Wall Street Journal, 15 janvier 2008, p. A13.
2. Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité, en avril 2004, la résolution 1540 qui exige que tous les pays appliquent une palette de mesures domestiques afin d’empêcher des acteurs non-étatiques de se procurer des armes non conventionnelles, leurs moyens de délivrance, et les matériaux afférents. La commission spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU chargée de contrôler, faciliter et promouvoir les efforts des nations en vue de se conformer à cette résolution a vu son mandat prolongé de deux ans par la résolution 1673 de 2006 et de trois ans par la résolution 1810 de 2008.
3. Formellement, le Traité de Réduction des Forces Stratégiques (SORT) ou Traité de Moscou de mai 2002 engage les Etats-Unis et la Russie à réduire le niveau de leurs forces nucléaires stratégiques opérationnelles à un nombre de têtes nucléaires situé pour chaque partie entre 1700 et 2200, d’ici au 31 décembre 2012. La limitation du nombre de têtes prévue dans le traité expire à la fin du même jour.