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Obama Prix Nobel
Pour un Moyen-Orient sans armes de destruction massive

par Michel Rocard, Yehuda Atai et Jean-Marie Matagne


Publié le 10 décembre 2009

Aujourd’hui Barack Obama, président des Etats-Unis, se voit remettre le prix Nobel de la Paix qui lui a été attribué le 13 octobre - près de deux mois avant qu’il ne décide d’envoyer de nouvelles troupes en Afghanistan dans l’espoir de "gagner la guerre" dont il a hérité. Récapitulons brièvement le parcours qui lui a valu ce prix Nobel.

Elu le 4 novembre 2008, entré en fonction le 20 janvier 2009, le nouveau président des Etats-Unis prononce le 5 avril à Prague un discours appelant à l’abolition des armes nucléaires. Aussitôt, la diplomatie américaine ouvre avec les Russes des négociations visant à remplacer le traité START de réduction des armes nucléaires, qui expire le 5 décembre, par un autre traité de désarmement encore plus ambitieux. Le 4 juin, au Caire, Obama prononce un grand discours d’ouverture au monde musulman. Et le 24 septembre, il préside une session extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU au cours de laquelle 14 chefs d’Etat ou de gouvernement, plus un ambassadeur (libyen), adoptent à l’unanimité une résolution d’origine américaine nous promettant « un monde sans armes nucléaires ».

Le 4 décembre, les négociateurs russes et américains n’ont pas réussi à mettre sur pied un nouveau traité, mais les présidents Obama et Medvedev publient un communiqué réaffirmant leur volonté d’y parvenir, et de continuer à travailler « dans l’esprit du traité » START, malgré son expiration.

Michel Rocard, Yehuda Atai et Jean-Marie Matagne saisissent l’occasion de rappeler que le grand dessein d’Obama d’abolir les armes nucléaires ne pourra jamais se réaliser si le Moyen-Orient ne devient pas une zone exempte de toute arme de destruction massive. Et de préciser à quelles conditions il pourrait le devenir.

Le quotidien régional Ouest-France, premier quotidien de France par son tirage et son nombre de lecteurs, a commencé hier à publier cet article dans les douze départements de l’Ouest où il est distribué.


Il y a deux ans, nous lancions un appel aux Européens pour empêcher la guerre contre l’Iran (1). Nous nous réjouissons de constater que depuis cet appel (même s’il n’y est pour rien), la "guerre préventive" dont l’Iran se trouvait alors sérieusement menacé n’a pas eu lieu. Cette éventualité n’est pas encore complètement écartée et "la question iranienne" n’a toujours pas reçu la solution diplomatique que nous appelons de nos vœux dans un cadre global ; elle semble même s’en éloigner. C’est pourtant cette solution qu’on doit espérer après le profond changement de perspectives internationales survenu en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires depuis l’accession de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis.

Aujourd’hui, Obama reçoit le prix Nobel de la Paix qui lui a été attribué "pour ses efforts extraordinaires en vue de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples". Le comité Nobel attachait une importance particulière "à la vision et au travail d’Obama en faveur d’un monde sans armes nucléaires". "Obama a créé un nouveau climat dans les relations politiques internationales. La diplomatie multilatérale a repris une position centrale, avec l’accent mis sur le rôle des Nations unies et des autres institutions internationales". Cependant Obama a reconnu lui-même qu’il ne méritait pas ce prix pour ce qu’il avait déjà pu réaliser en faveur de la paix, mais plutôt pour les objectifs qu’il proposait à la communauté internationale. Concernant le désarmement et la non-prolifération nucléaires, il notait : "je ne pourrai pas tout faire pendant ma présidence. Ce ne sera peut-être pas achevé de mon vivant" et concernant le Moyen-Orient : "Il faudra régler les conflits qui ont engendré tant de souffrances, les Palestiniens et les Israéliens ont le droit de vivre côte à côte, chacun dans son pays".

Ces deux objectifs : un monde sans armes nucléaires, un Moyen-Orient connaissant enfin une paix juste et durable, sont strictement liés. Il est clair en effet qu’Israël refusera toujours d’éliminer ses propres armes nucléaires (généralement estimées à au moins 200 têtes nucléaires) tant que sa sécurité et sa pérennité ne seront pas assurées. Or celles-ci resteront menacées tant que la question israélo-palestinienne ne sera pas résolue à la satisfaction des deux parties, et tant que la question du Golan et celle du Liban ne seront pas elles aussi résolues. De même, l’Iran pourra toujours être soupçonné, à tort ou à raison, de vouloir se procurer des armes nucléaires tant qu’Israël conservera les siennes, et de vouloir la disparition d’Israël tant que l’existence de ce dernier ne sera pas universellement reconnue dans des frontières - a priori, celles de 1967 - agréées par les Nations Unies et la totalité de ses voisins, Palestiniens compris. Ceux-ci ont droit à leur propre Etat, souverain, indépendant et viable. En attendant que les uns et les autres s’entendent, un jour peut-être, sur une fédération ou confédération israélo-palestinienne, multiconfessionnelle ou, mieux encore, laïque.

Quoi qu’il en soit, c’est un accord global entre toutes les parties concernées qui doit être recherché. Une négociation multilatérale, sans doute précédée de consultations bi- ou plurilatérales, devrait y parvenir. Elle doit avoir pour objectif de résoudre, par des compromis mutuellement acceptables, les nombreux problèmes concrets qui se posent, du tracé des frontières à la gestion de l’eau ou du domaine maritime. Mais elle doit aussi et avant tout viser l’instauration d’un Moyen-Orient sans armes de destruction massive, tant nucléaires que biologiques, chimiques, radioactives ou "émergentes". Ce sera la contribution précieuse et indispensable du Moyen-Orient à la construction d’un monde de paix, de coopération et de compréhension mutuelle, affranchi de la menace d’anéantissement nucléaire. La balle est dans le camp d’Israël et des Etats-Unis, au moins autant que dans celui de l’Iran.

Paris, Tel-Aviv et Saintes

Michel Rocard, ancien Premier ministre, ambassadeur pour les pôles

Yehuda Atai, universitaire, éditeur du Monde de la Bible, cofondateur du Comité israélien pour un Moyen-Orient sans armes nucléaires, biologiques et chimiques

Jean-Marie Matagne, docteur en philosophie, président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN) contact@acdn.net


(1) Dans Libération du 16 novembre 2007 et sur le site d’ACDN. Cet appel a reçu de nombreux soutiens (voir la liste des premiers signataires) et la visite de milliers d’internautes francophones et anglophones.