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Déclaration de Mohamed ElBaradei, Directeur général de l’AIEA*

publiée dans le Financial Times du 2 février 2005


Publié le 4 février 2005

Traduit de l’’anglais par ACDN**

Dans quatre mois, à New York, le monde aura une occasion unique d’apporter des améliorations considérables à la sécurité internationale.

La question est de savoir si nous serons assez intelligents pour nous en saisir.

Ces dernières années, trois phénomènes -l’émergence d’un marché noir du nucléaire, les efforts déterminés de nouveaux pays en vue d’acquérir la technologie qui permet de produire les matériaux fissiles utilisables dans les armes nucléaires, et la volonté clairement exprimée de terroristes d’acquérir des armes de destruction massive- ont radicalement modifié le paysage sécuritaire.

Nous avons tenté de résoudre ces nouveaux problèmes avec les instruments existants. Mais à chaque étape, nous avons découvert de nouvelles vulnérabilités dans le système.

Le système lui-même - le régime d’application du Traité de Non-Prolifération des Armes Nucléaires (TNP) - a clairement besoin d’être renforcé.

Certaines décisions indispensables pourraient être prises en mai prochain, mais seulement à condition que les gouvernements soient prêts à agir.

L’occasion offerte à New York prendra la forme d’une conférence. Si cela devait signifier encore plus de bureaucratie -les scénarios cauchemardesques de la sécurité nucléaire engendrant encore plus de réunions- je partagerais le point de vue des sceptiques.

Mais il ne s’agit pas d’une conférence banale. Tous les cinq ans, la Conférence de Révision du TNP rassemble les dirigeants du monde entier à la même table de négociations pour se concentrer sur les moyens de combattre la menace des armes nucléaires. Tous les pays y participeront en tant que parties au Traité, tous excepté quatre -et compte tenu du caractère global des menaces auxquelles nous avons à faire face, ces quatre pays (Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord) devraient être invités à verser eux aussi au pot commun leurs conceptions et préoccupations.

Avec sept étapes simples -et sans avoir à amender le traité- cette Conférence pourrait marquer une étape historique dans le renforcement de la sécurité mondiale.

1. Décider un moratoire de 5 ans sur la création de nouvelles installations d’enrichissement d’uranium et de séparation du plutonium. Il n’y a aucune raison sérieuse de construire davantage d’installations de ce type, à caractère proliférant ; l’industrie nucléaire a déjà une capacité de production de combustible supérieure aux besoins de ses centrales nucléaires et de ses réacteurs de recherche.

Pour rendre ce moratoire acceptable par tout le monde, les pays qui disposent déjà de telles installations devront s’engager à fournir aux autres, à un prix économique, du combustible nucléaire pour des usages de bonne foi. Cette période de 5 ans devra être mise à profit pour développer des options à long terme plus satisfaisantes pour la gestion de ces technologies (par exemple, au sein de centres régionaux sous contôle multinational). Pour faire avancer ces idées, j’ai engagé un groupe d’experts nucléaires internationaux, et leur propositions seront soumises à la Conférence de Mai.

2. Accélérer les efforts existants, faits par les Etats-Unis dans le cadre de l’Initiative de Réduction de la Menace Mondiale et par d’autres, en vue de modifier les réacteurs de recherche qui fonctionnent à travers le monde avec de l’uranium hautement enrichi - en particulier ceux qui utilisent du combustible métal susceptible d’être immédiatement employé comme explosif militaire. Convertir ces réacteurs à l’usage d’uranium faiblement enrichi, et accélérer la recherche technique sur les moyens de se passer de l’uranium hautement enrichi dans tous les usages pacifiques du nucléaire.

3. Elever la barre des règles d’inspection en faisant du "Protocole Additionnel" la norme de vérification de la conformité au TNP. A défaut d’étendre l’obligation de ce protocole, les droits d’inspection de l’AIEA sont bien trop limités. Il a récemment fait la preuve de son efficacité en Irak, en Libye et ailleurs, et il devrait être rendu obligatoire pour tous les pays.

4. Appeler le Conseil de Sécurité de l’ONU à traiter rapidement et de façon déterminée le cas de tout pays qui se retirerait du TNP, compte tenu du danger que ce retrait représente pour la paix et la sécurité internationales.

5. Appeler tous les Etats à agir conformément à la récente résolution 1540 du Conseil de sécurité, à pourchasser et poursuivre en justice tout commerce illicite de matériels, matériaux et technologies nucléaires.

6. Appeler les cinq Etats nucléaires parties au TNP à accélérer l’exécution de leur "engagement sans équivoque" pour le désarmement nucléaire, en réalisant des efforts du genre du Traité de Moscou entre la Russie et les Etats-unis. Négocier un traité pour bannir définitivement la production de matériaux fissiles destinés à des programmes d’armement nucléaire constituerait un bon point de départ.

7. Reconnaître l’instabilité due aux tensions persistantes qui incitent à la prolifération -dans des régions comme le Moyen Orient et la péninsule coréenne-, prendre les mesures nécessaires pour combler les déficits de sécurité existants et, là où c’est nécessaire, fournir des garanties sécuritaires. Dans le cas du Moyen Orient, appeler toutes les parties concernées à poursuivre un dialogue sur la sécurité régionale en tant qu’élément du processus de paix. L’un des buts de ce dialogue devrait être de transformer le Moyen Orient en zone exempte de toute arme nucléaire.

Aucune de ces étapes ne saurait fonctionner séparément des autres. Chacune requiert quelque concession de la part de quelqu’un. Mais si toutes les parties prennent cette direction, l’ensemble de ces propositions créera des avantages pour tous et pour chacun.

Une telle occasion se reproduira - en 2010. Mais compte tenu de l’ampleur des enjeux et des tendances actuelles, nous n’avons tout simplement pas le temps d’attendre cinq ans de plus. Comme un comité d’experts de haut niveau des Nations Unies l’a déclaré récemment, "nous approchons du point de non-retour où l’érosion du régime de non-prolifération pourrait devenir irréversible et provoquer une cascade de prolifération."

Le monde tel que nous le connaissons ne survivrait pas à ce tsunami d’origine humaine.

*Agence Internationale de l’Energie Atomique, agence de l’ONU chargée de promouvoir l’énergie atomique "à des fins pacifiques" (civiles) tout en contrôlant son non-détournement vers des fins militaires.

**Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)
31 Rue du Cormier - 17100 - Saintes (France)