Mikhaïl Gorbatchev, Genève, sept. 2013 (Photo ACDN)
Journal "Time", le 15 avril 2020
Durant les premiers mois de cette année, nous avons vu une fois de plus combien notre monde est fragile, combien le danger de plonger dans le chaos est grand. La pandémie du COVID-19 fait peser sur tous les pays une menace commune et aucun pays ne peut s’en sortir seul.
Beaucoup de gens disent que le monde ne sera plus jamais le même. Mais à quoi ressemblera-t-il ? Tout dépend des leçons qu’on en aura tirées.
Je rappelle comment, au milieu des années 1980, nous avons traité la menace nucléaire. La rupture est venue lorsque nous avons compris qu’elle était notre ennemi commun, une menace pesant sur chacun d’entre nous. Les dirigeants de l’Union Soviétique et des Etats-Unis ont déclaré qu’une guerre nucléaire ne pouvait être gagnée par personne et que jamais elle ne devait être livrée. Il s’en est suivi la rencontre de Reykjavik et les premiers traités d’élimination des armes nucléaires. Mais, en dépit du fait que 85% de ces arsenaux soient aujourd’hui détruits, la menace est toujours là.
D’autres défis universels subsistent et sont même devenus encore plus urgents à relever : la pauvreté et les inégalités, la dégradation de l’environnement, l’épuisement des ressources terrestres et océaniques, la crise migratoire. Et maintenant, le sinistre rappel d’une autre menace : les maladies et les épidémies qui dans un monde globalisé, interconnecté, peuvent se répandre à une vitesse sans précédent.
La réponse à ce nouveau défi ne peut être purement nationale. Alors que ce sont les gouvernements nationaux qui portent actuellement la charge de faire des choix difficiles, les décisions auraient à être prises par la communauté mondiale toute entière.
Nous n’avons jusqu’à présent pas réussi à mettre au point ni à mettre en œuvre des stratégies et des objectifs communs à l’humanité. Le progrès vers les objectifs du Millénium adoptés en 2000 par les Nations Unies a été extrêmement inégal. Nous voyons aujourd’hui que la pandémie et ses conséquences frappent les pauvres avec une particulière brutalité, exacerbant ainsi le problème des inégalités.
Ce dont nous avons urgemment besoin maintenant, c’est de repenser complètement le concept de sécurité. Même après la fin de la Guerre Froide, il a été essentiellement envisagé en termes militaires. Au cours des dernières années, tout ce dont nous avons entendu parler, c’est d’armes, de missiles, de frappes aériennes.
Cette année, le monde s’est trouvé au bord de confrontations qui auraient pu impliquer des grandes puissances, avec des affrontements graves en Iran, en Irak et en Syrie. Et bien que les participants aient finalement reculé, c’était la même politique dangereuse et imprudente du bord de l’abîme.
N’est-il pas suffisamment clair que les armes et la course aux armements ne peuvent pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui ? La guerre est le signe d’une défaite, un échec de la politique.
Notre but primordial doit être la sécurité humaine : fournir aux gens la nourriture, l’eau, un environnement sain, les soins de santé. Pour y parvenir, il nous faut développer des stratégies, faire des préparatifs, planifier et créer des réserves. Mais tous nos efforts échoueront si les gouvernements continuent à gaspiller de l’argent à alimenter la course aux armements.
Je ne cesserai jamais de le répéter : nous devons démilitariser les affaires du monde, la politique internationale et la pensée politique.
Pour traiter de ce sujet au plus haut niveau international, j’appelle les dirigeants du monde à convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, dès que la situation sera stabilisée. En particulier, je les appelle à opérer des coupes de 10 à 15 % dans les dépenses militaires. C’est le moins qu’ils puissent faire maintenant, comme une première étape vers une nouvelle conscience, une nouvelle civilisation.
Source Traduction française : ACDN