Pour diverses raisons, les partis de gauche, parmi lesquels Europe Ecologie-Les Verts, ont décliné en 2010 l’offre du PS de désigner leur candidat à une primaire de gauche - sauf le PRG qui avait posé plusieurs conditions et qui vient de présenter, le 6 juillet, la candidature de son président, Jean-Michel Baylet. De ce fait, la primaire organisée par le PS n’est plus seulement une « primaire socialiste », elle redevient potentiellement une « primaire de la gauche », et le redeviendrait bien plus sûrement si EELV s’associait au processus.
Le vainqueur de la primaire écologiste sera connu le 12 juillet. Le 13, le Bureau exécutif d’EELV pourrait, avec son accord, le désigner comme son candidat dans la primaire de gauche organisée par le PS. La gauche, l’écologie, la France, l’Europe, la planète y auraient tout intérêt. Et même EELV, d’un strict point de vue « partisan » !
L’intérêt de la gauche.
« L’affaire DSK » le prouve, bien des événements peuvent survenir et bouleverser la donne dans les neuf mois qui nous séparent de l’élection présidentielle. Raison de plus pour envisager toutes les éventualités, de l’hypothèse la plus flatteuse pour les écolos mais aussi la plus improbable : un duel de 2e tour entre leur candidat(e) et Marine Le Pen, jusqu’à la plus désagréable pour la gauche : un nouveau « 21 avril », entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Si l’on crédite cette dernière d’au moins 17 % des suffrages exprimés, voire de 20 % et plus, et si Sarkozy réussit de son côté l’exploit très relatif d’être dans le couplé de tête, cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable. Elle le sera d’autant moins que le vote écolo et le vote protestataire de gauche (Front de gauche, NPA...), s’ils sont importants, s’additionneront pour affaiblir -au moins en partie- le candidat socialiste, jusqu’à sa possible élimination.
A ce jour, EELV se dit déterminée à « maintenir jusqu’au bout » son ou sa candidat(e) et à faire « le meilleur score possible ». Victoire à la Pyrrhus : plus cette ambition se réalisera, plus elle rendra probable l’échec de la gauche. Supposons un instant que le PS, EELV et le Front de gauche fassent à peu près jeu égal : aucun d’eux ne figurera au 2e tour. Ainsi, à quelques semaines du 1er tour, EELV risque d’avoir à trancher, en spéculant sur la base de sondages, entre le retrait de son ou de sa candidate et le risque de partager la terrible responsabilité d’un échec de la gauche. Ne vaudrait-il pas mieux y songer maintenant ?
L’intérêt de l’écologie.
Participer à la primaire de gauche, ce sera proposer les alternatives écologiques au productivisme, d’abord aux militants socialistes, écologistes, et autres sympathisants de gauche, jusqu’à la fin de la primaire (1er tour le 9 octobre, 2e tour le 16), puis à tous les Français pendant la campagne du candidat ou de la candidat(e) qui sera finalement désigné(e). Car si la participation à la primaire implique de soutenir le vainqueur, elle implique aussi logiquement pour les autres partis le droit de participer à tous les meetings de campagne et de dire sur quelles bases ils apportent leur soutien. Excellent moyen de faire progresser les idées d’EELV au sein de la gauche comme dans l’opinion publique... et pourquoi pas, si ces idées sont convaincantes, parmi les dirigeants socialistes, dont celui ou celle qui deviendra peut-être par la suite président(e) de la République. Ces échanges favoriseront grandement l’élaboration d’une plate-forme commune de gouvernement, tout en en préfigurant la pratique. D’autant que le ou la candidate EELV, même écarté(e) du 2e tour de la primaire, aura pu favoriser, voire assurer le succès du candidat socialiste le plus proche de ces idées...
L’intérêt de la France et de l’Europe
Dans de très nombreux domaines, la France doit rompre avec cinq ans de sarkozysme, plusieurs décennies de mondialisation sauvage et d’Europe déficiente. Seule la gauche peut porter cette espérance. Mais pas n’importe quelle gauche. Une gauche sociale, écologique, démocratique, européenne sans être européiste, une gauche dont les partis prendront vraiment en compte la volonté des électeurs, pour désigner leur candidat à la présidence comme pour élaborer un projet commun de gouvernement. Une « primaire de gauche » peut servir à cela.
L’intérêt de la planète
Parmi les points d’achoppement les plus sensibles entre le PS et Europe Ecologie - Les Verts, il y a la sortie du nucléaire, civil et militaire. Ce ne sont pas des points de détail. Fukushima nous le rappelle cruellement à travers la radioactivité qui ne connaît pas de frontières, les risques de catastrophe, d’origine tant civile que militaire, concernent l’entièreté de la France, de l’Europe, de la planète. C’est pourquoi reconduire à la tête de l’Etat Nicolas Sarkozy, marchand d’atomes, marchand d’armes, et détenteur de la mallette nucléaire, serait impardonnable. Même sans lui, laisser les choses en l’état pour la durée d’un autre quinquennat le serait tout autant. EELV ne mériterait pas d’être portée au pouvoir si c’était pour consentir en ce domaine au statu quo, en échange de quelques maroquins et de deux douzaines de sièges de députés concédés par un partenaire socialiste « sûr de lui et dominateur ».
Pour amener les dirigeants du PS à accepter la sortie du nucléaire civil dans les meilleurs délais et l’engagement de la France dans un processus d’abolition des armes nucléaires (ou pour le moins, l’engagement d’organiser un référendum sur cette question), un solide rapport de forces viendrait utilement seconder les arguments intellectuels. Mais comment ? Précisément grâce à la primaire de gauche, dont le 1er tour pourra servir de référence.
L’intérêt d’EELV
C’est l’intérêt du parti EELV. En effet, si aller à la présidentielle en ordre dispersé présente un risque certain pour la gauche dans son ensemble -voire pour la France-, il n’est pas du tout sûr que cela présente un avantage pour chaque parti pris isolément. On l’a vu pour le PS. On peut le voir aussi pour EELV. Un récent sondage effectué à l’issue du 1er tour de la primaire écologiste attribuait à Nicolas Hulot comme à Eva Joly 6,5 % des intentions de vote. Mais c’était hors contexte réel, et si le risque de « 21 avril » devait se concrétiser, le « vote utile » pourrait fort bien ramener le résultat d’EELV en 2012 au dessous des 5 %, sinon jusqu’au plancher de 1,5 % obtenu en 2007 par Dominique Voynet, qui n’avait pourtant pas démérité.
EELV pourrait éviter un tel cauchemar et s’assurer sans risque un résultat bien meilleur en participant à la primaire de gauche, dont le corps électoral lui sera beaucoup plus favorable que l’ensemble du corps électoral français. Le « rapport de forces » qui en résultera aurait le mérite de refléter l’influence proportionnelle des idées des uns et des autres parmi les sympathisants de gauche.
A défaut d’être mandaté par le Conseil fédéral réuni à Nantes le 9 juillet, le Bureau exécutif pourrait fort bien prendre cette décision, puisqu’elle aboutirait justement à ouvrir jusqu’au bout, 2e tour inclus, la voie présidentielle à la candidate ou au candidat d’EELV. Dans la primaire de gauche, sa chance est mince, il est vrai, mais en-dehors... elle est nulle !
Tout tend donc à cette conclusion : EELV devrait renoncer dès maintenant à faire cavalier seul par fétichisme présidentiel. Ce faisant, le parti servira l’intérêt général sans se renier ni se nuire. Le « peuple de gauche » appréciera. Les Français aussi, las des querelles de partis.
Saintes, le 8 juillet 2011
Jean-Marie Matagne
Président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)
Ex-candidat à l’élection présidentielle de 2002
Adhérent EELV