Les grandes peurs reviennent périodiquement dans l’Histoire, mais, parfois, leurs causes sont masquées, oubliées. On s’habitue à telle ou telle menace, à tel ou tel danger jusqu’à l’incident qui, de nouveau, sonne l’alerte.
C’est ce qui se passe à propos de l’armement nucléaire. Nous y sommes habitués depuis plus d’un demi-siècle. Les pays qui en disposent se sentent protégés par leur force de dissuasion. De plus, la disparition de l’URSS a rassuré, même si la Russie dispose toujours de moyens redoutables.
Mais voici que les velléités nucléaires de la Corée du Nord et de l’Iran viennent secouer nos assurances, d’autant plus que les gouvernants de ces pays, situés en zones de tensions géopolitiques, sont assez imprévisibles. De plus, s’ils parviennent à leur fin, d’autres proches d’eux ou même plus lointains, se sentant plus ou moins menacés, voudront eux-mêmes s’armer de la même manière pour pouvoir dissuader à leur tour. Qu’en sera-t-il alors de la sécurité du monde ? Les possibilités de conflits ne vont pas diminuer et représenteront autant de cas où la bombe atomique pourrait être utilisée volontairement par un chef d’Etat irresponsable ou fragile, ou bien déclenchée par un accident dû à une mauvaise maîtrise du système ou à des informations erronées.
Tout cela repose la question, non seulement de la prolifération qu’il faut enrayer, mais aussi celle du désarmement nucléaire.
Comment mettre un coup d’arrêt à la prolifération renaissante ? Certainement pas en attaquant les pays concernés. Or cette éventualité existe. Périodiquement, on parle de plan d’attaque préventive contre l’Iran, comme si l’expérience de la guerre d’Irak n’avait pas suffi.
Quant au Japon face à la Corée, il revoit son attitude en la matière et envisage de modifier ses moyens de défense. Il est clair que, si l’on continue dans ce sens, un jour ou l’autre, ce que tout le monde redoute se produira avec des enchaînements et des conséquences probablement non maîtrisables. Par ailleurs, et dans le même temps, les terrorismes s’efforcent certainement de se procurer les moyens de mettre le nucléaire au service de leurs actions criminelles.
Les candidats doivent se prononcer
Dans ces conditions, il faut tout remettre en question, il faut s’y prendre autrement, rechercher d’autres solutions et il n’en est qu’une : c’est le désarmement nucléaire généralisé.
Utopie, naïveté, folie, dira-t-on. Pourtant tel est bien l’objectif que voulaient atteindre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, lorsqu’ils se réunirent à Reykjavik, voici vingt ans, pour obtenir l’élimination totale de l’arme nucléaire. Aujourd’hui, cette nécessité apparaît plus urgente encore.
Plusieurs hautes personnalités américaines viennent de le rappeler : Henry A. Kissinger, secrétaire d’Etat américain de 1973 à 1977, G.P. Schulz, secrétaire d’Etat américain de 1982 à 1989, Sam Nunn, ancien président de la commission du Sénat américain chargée des services armés, W.J. Perry, secrétaire à la défense de 1994 à 1997. Ces personnes rappellent que « l’absolue priorité est de travailler de façon intensive avec les dirigeants des pays dotés de l’arme nucléaire pour que l’objectif de désarmement nucléaire mondial devienne une ambition commune... Cela donnerait davantage de poids aux actions en cours, visant à éviter l’acquisition d’un arsenal nucléaire par la Corée du Nord et l’Iran ». Aujourd’hui, on peut penser en effet, qu’une telle démarche de désarmement, négociée avec tous ceux qui disposent ou voudraient disposer de l’arme nucléaire, est la seule méthode qui pourrait arrêter réellement la prolifération.
Le programme de ces personnalités prévoit aussi de mettre un terme à la production de matériaux nucléaires à des fins militaires, de faire disparaître progressivement l’uranium hautement enrichi des échanges civils, de retirer l’uranium utilisable à des fins militaires de tous les centres de recherche de la planète et de rendre ces matériaux inoffensifs. Il faudra aussi se pencher sur la question de la prolifération des déchets nucléaires produits par les réacteurs de centrales électriques.
On le voit, le chantier est vaste, mais l’enjeu est tout de même d’empêcher la planète de sombrer dans le chaos. Qu’est-ce donc qui est le plus fou ? S’efforcer de parer ce danger ou le laisser grandir ?
Par ailleurs, les sommes considérables qui seraient ainsi économisées pourraient être consacrées avec une extraordinaire efficacité à un immense effort de développement. Désarmer pour développer, voilà la mission principale des responsables politiques du monde. C’est la paix et le développement ou bien le risque d’anéantissement ; chacun sait où est le bon sens.
Voilà une question fondamentale que nous aimerions voir étudiée par les divers candidats à la présidence de la République. La France, avec l’Europe, a, en effet, dans ce domaine, un rôle essentiel à jouer.