On le sait depuis quelque temps déjà, Nicolas Sarkozy ne correspond pas tout à fait à la définition du mot : visionnaire. On avait également très vite saisi que l’idéalisme qu’il affichait en matière de politique étrangère au tout début de son mandat allait laisser la place dans les faits non pas même à un certain réalisme, mais à une realpolitik sans ambition et à la perpétuation des pires pratiques. L’actualité de ces derniers jours nous en fournit hélas un nouvel exemple.
La presse s’en est largement fait l’écho : le Président américain rêve d’un monde qui serait débarrassé de ses armes nucléaires, et semble même déterminé à le faire savoir. Dès l’an dernier, à Prague, il annonçait le calendrier qu’il comptait suivre avec son administration pour progresser dans cette voie : négociation d’un nouveau traité de désarmement avec la Russie (visant à la réduction de leurs arsenaux nucléaires respectifs), réduction du rôle stratégique de l’arme nucléaire dans la doctrine américaine, renforcement du Traité de Non Prolifération... Et force est de constater qu’un an plus tard un certain nombre d’éléments vont bel et bien dans ce sens. Un nouveau traité a effectivement été signé avec l’ancien adversaire de la guerre froide. La récente Nuclear Posture Review indique notamment que les Etats-Unis renoncent à partir d’aujourd’hui à utiliser l’arme atomique contre des Etats qui n’en auraient pas et ne chercheraient pas à en avoir. Et la réduction et la sécurisation des installations et des matériels nucléaires dans le monde devaient être abordées ces jours-ci à Washington, conformément à ce qui avait été annoncé.
C’est là cependant qu’intervient le Président de la République. Car Nicolas Sarkozy ne veut pas entendre parler d’un programme ambitieux de désarmement mondial. Bien sûr, il n’est pas opposé à ce que d’autres pays réduisent leur propre arsenal ou renoncent à le construire. Mais il est hors de question pour lui de souscrire à l’objectif du Zéro Nucléaire, qui conduirait de fait la France à renoncer à son arme atomique et à sa doctrine de dissuasion - laquelle l’autorise à « appuyer sur le bouton » en premier. L’idée d’y renoncer a bien quelques défenseurs dans l’hexagone, y compris d’ailleurs parmi des gens qu’il serait difficile de qualifier d’écologistes pacifistes intempérants (Michel Rocard, Alain Juppé et Alain Richard par exemple) ; mais à l’Elysée il n’est pas aisé de se remettre en cause. Obama dit vouloir atomiser l’atome ? Qu’à cela ne tienne ! Sarkozy lui répond simplement - touche pas à ma bombe !
Je ne suis pas une inconditionnelle du Président américain. Pendant la campagne des européennes, j’ai d’ailleurs été interpellée à plusieurs reprises par quelques personnes qui, ayant lu mon dernier livre, s’étonnaient de ma sévérité à son égard. Et je discerne assez les nuances, limites et arrière-pensées de la politique poursuivie par Obama. Les Etats-Unis sont notamment loin d’exclure à ce stade toute utilisation de l’arme. Ils se réservent au contraire le droit de l’utiliser contre l’Iran ou la Corée du Nord. De même, le nouveau traité de désarmement conclu avec la Russie est très en deçà de ce qu’on aurait pu espérer. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les attraits d’un monde sans armes nucléaires sont extrêmement multiples pour la seule superpuissance mondiale. Cela correspondrait en effet à un renforcement considérable de sa supériorité militaire, puisque aucun pays au monde ne disposerait alors de moyens équivalents au sien ; tandis que l’existence de plusieurs puissances atomiques atténue malgré tout cette différence... De sorte que les progrès enregistrés jusque-là sont très graduels, et surtout visibles dans les changements de discours américain. Un discours qui ne dit pas tout de ses motivations réelles.
Mais alors que l’administration Bush prévoyait de développer de nouvelles armes nucléaires pour les utiliser dans de « simples » combats (et il n’y a guère de doute qu’un gouvernement républicain les aurait effectivement développées), peut-on se permettre de négliger des progrès de ce type ? Comment reprocher à quelqu’un de ne pas en faire assez, quand on a soi-même décidé de ne pas en faire davantage ? Et comment se satisfaire de la solution de facilité adoptée par l’exécutif ?
Le désarmement, notamment nucléaire, est une solution de paix. L’oublier est une erreur qui me semble extravagante, tandis que persister dans cette erreur constitue une faute. En outre, cela témoigne tout simplement de ce que le Chef de l’Etat français et au-delà l’Union européenne, si l’UE en tant que telle ne se saisit pas de la question, ne veulent pas voir comment le monde change, et comment leurs propres pratiques et conceptions doivent évoluer s’ils veulent jouer le rôle qui devrait leur revenir sur la scène internationale. Ce n’est un secret pour personne. Aujourd’hui l’Europe est bien plus un global payer qu’un global player (autrement dit, elle a beau être l’un des premiers contributeurs en termes d’aide publique au développement, son influence reste limitée). Et avec l’émergence de nouvelles puissances cela risque bien d’empirer encore. Chaque jour on constate que les Etats-Unis ou même la Chine nous considèrent de moins en moins comme des acteurs d’importance. Saisir au bond la balle que nous envoie Obama aurait donc, en plus de servir la paix, l’intérêt de démontrer que nous sommes capables de redéfinir les doctrines qui ont été les nôtres. Cela nous permettrait aussi de placer les débuts d’une politique extérieure européenne désormais plus intégrée sous les meilleurs auspices, ceux de l’ambition et de l’inventivité, et de l’orienter résolument vers la résolution négociée des conflits et la remise en cause du système économique, social et politique mondial. En bref, vers la mise en place d’une nouvelle gouvernance mondiale.
En tant qu’écologiste, en tant que Présidente de la Commission du Développement du Parlement européen, je suis - cela ne surprendra personne - résolument favorable à une telle orientation. Mais je ne suis pas naïve, ni ne pense détenir à moi seule toute la vérité. Je vois bien les dangers qui existent dans le monde, je sais que beaucoup verraient dans un tel saut l’abandon d’une part de « souveraineté ». C’est donc au minimum un vrai débat qui devrait avoir lieu en France et chez nos voisins. Or, à quelques exceptions près, même ce débat nous est refusé - le gouvernement français se contentant de communiquer pour défendre sa position, sans réfléchir à ce qu’il pourrait gagner à la modifier. En faisant de la sorte, il prend le risque de s’isoler sur la scène internationale, de prendre du retard, et de fragiliser dans leur globalité les efforts de non-prolifération.
La preuve est malheureusement faite. En matière nucléaire comme dans bien d’autres, que l’on considère le nucléaire civil ou le nucléaire militaire, le débat, l’intérêt général et la hauteur de vue ne constituent pas les valeurs cardinales de la politique de notre gouvernement.
Source : nouvelobs.com