- Le trajet
Ils sont cinq à bord, sur un drôle d’esquif qui tient de la planche à voile, du prao et du voilier. Du voilier, car il a une coque centrale habitable (hauteur maxi sous barrot : 1,80 m) où l’équipage prend ses quarts de repos et de tambouille, et un safran (ou plutôt deux) pour garder le cap.
- L’équipage
Du prao, car il a un balancier : un flotteur latéral relié par un bras à la coque. De la planche à voile enfin, car les voiles en enfilade sur la coque centrale (jusqu’à 7) ressemblent à celles qu’on trouve sur les PAV de Monsieur tout-le-monde : tendues à l’aide d’un wishbone à partir d’un mât à pied articulé. Elles peuvent être orientées et maintenues à la force des bras, même si le plus souvent c’est un astucieux système de "bouts" (de cordages) qui s’en charge. La plus petite fait 3,5 m2, la plupart 7,5 m2, et la plus grande 9 m2, ce qui nécessite l’usage de lattes de renforcement.
- Nucléaire, non merci.
La coque centrale et le flotteur ont leurs deux bouts profilés à l’identique, de sorte que le sens de la marche est réversible : dans ce cas le safran (le gouvernail) placé à l’arrière du bateau est relevé, celui placé à l’avant est abaissé, la proue devenant la poupe et vice-versa. Une manœuvre peu fréquente et délicate, mais à l’ordinaire, le bateau peut virer de bord ou empanner comme une PAV ou un voilier quelconques.
- Pétrole, Charbon, non merci.
Appelons donc cet engin « Prao A Voiles ». Il porte encore le nom de son premier sponsor : « Défi Sortir du nucléaire ». La petite association bretonne qui a mené le défi jusqu’au bout, "Défi Energies", PAVe la mer des meilleures intentions.
- Energies équitables, OSONS !
Cette première traversée de l’Atlantique en prao à voiles est certes un exploit sportif, technique, financier (avec de modestes sponsors qui se comptent sur les doigts d’une main, et des sommes dérisoires, sans commune mesure avec le gâchis financier que fut le "Défi AREVA" par exemple). C’est une très belle aventure humaine : vivre à cinq dans un espace aussi exigu et dans des conditions plutôt spartiates, s’entendre pendant 9 semaines non seulement pour jouir du spectacle constamment renouvelé de l’océan, mais aussi pour faire stoïquement face aux éléments déchaînés (comme lors de cette tempête de force 8 essuyée dans le Golfe de Gascogne) et réparer la casse, ce n’est pas une mince affaire. Autant qu’on en puisse juger par leur journal de bord, ce fut une réussite morale et une belle leçon d’anarchie : "l’ordre moins le pouvoir", comme disait Léo Ferré. Mais c’est surtout une action pour inciter le maximum de monde à
réfléchir aux solutions que nous devons mettre en place le plus
rapidement possible afin de ne pas léguer une Terre mourante et explosive à nos enfants.
- Vie à bord
Dans l’esprit de ses promoteurs, cette traversée a pour but de mettre en relations des
industriels, associations, hommes politiques et simples citoyens voulant
participer à l’édification du monde de demain.
Ils ont quitté le Golfe du Morbihan et viré la Pointe des immigrés le samedi 10 septembre.
Depuis 2 mois ils ont vécu à 5 en autonomie énergétique presque totale. A bord, pas de carburant, sauf le gaz dont ils auront dépensé un peu plus de 12 kg, faute d’avoir eu le temps -et l’argent- pour trouver le moyen de passer du cru au cuit, comme disait Claude Lévi-Strauss, à l’aide d’énergies renouvelables. Avec leurs 2 panneaux solaires, ils s’éclairent, allument la nuit leurs feux de route, alimentent l’ordinateur, le téléphone satellitaire, les piles rechargeables pour les radios, les GPS,
les lampes torche, la caméra, les appareils photos, le lecteur de DVD, le chauffe eau électrique individuel fabriqué (à bord, en plein Atlantique) avec 2 vielles bougies de préchauffage, et enfin la tondeuse (pas pour le gazon, mais pour les poils de barbe)... Tout cela marche sans dépendre d’aucune autre énergie extérieure que celle du soleil.
Et bien sûr, c’est grâce au vent qu’ils viennent de parcourir des milliers de milles (et près du double en kilomètres).
Tristes d’entendre chaque jour depuis leur départ de Hierro (dernière escale aux Canaries avant leur grand saut à travers l’Atlantique) parler du problème nucléaire -Iran, Corée du Nord...- qui faisait la une de l’actualité aux infos de RFI.
- Au large
Disons-le tout de go : dans ce monde où tout brûle et explose, des banlieues françaises aux hôtels richissimes de Amman en passant par l’Irak, dans ce monde où la violence se concocte ou s’anticipe dans les états-majors politiques des partis, des Etats ou des organisations subversives, où elle se planifie dans les états-majors militaires, se finance dans les Conseils d’Administration ou à la Bourse, se provoque dans la dure vie quotidienne de millions de personnes, et s’étale à la une des journaux, on aimerait que les médias accordent davantage de place aux images porteuses d’espérance.
Celles de l’arrivée en Martinique de cette Transat Prao, par exemple.
Le 10 novembre 2005
Jean-Marie Matagne, président de l’ Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)
Article rédigé d’après le site de la Transat Prao, en contact avec l’équipe de "Défi énergies" restée à terre et par satellite avec son initiateur, Alain Guillard.
Reproduction partielle ou intégrale autorisée pour tous pays, avec mention d’origine.
Crédit photos : Pascal Robert, Antonio Marciano, Jean-Luc Lainé.