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La France reconnaît sa responsabilité envers les victimes militaires et civiles de ses essais nucléaires


Publié le 24 mars 2009

Après des années de vaines démarches auprès de l’administration militaire et d’actions devant les tribunaux, systématiquement déboutées ou renvoyées en appel par le ministère lorsqu’elles étaient gagnantes, les vétérans des essais nucléaires français viennent de remporter une victoire apparemment décisive.


Pour la première fois, un ministre de la Défense reconnaît un lien de principe entre les décès ou certaines maladies (principalement des formes de cancers) développées par les militaires de carrière, les appelés du contingent ou les personnels civils ayant participé aux campagnes de tirs nucléaires de la France, ou encore par les membres de populations exposées aux retombées radioactives de certains tirs atmosphériques.

Hervé Morin annonce une loi d’indemnisation. La charge de la preuve, c’est-à-dire du rapport de causalité entre un cancer et l’exposition à des radiations consécutives à des essais, n’incombera plus aux victimes. Dans la plupart des cas, elle était quasiment impossible à apporter médicalement, et même lorsqu’elle était attestée par un éminent cancérologue, comme dans le cas de Lucien Parfait, elle a été rejetée par l’armée pendant des décennies.

Les conclusions des études commandées à ce sujet "ont été positives", assurait en son temps Jacques Chirac. L’association des victimes polynésiennes Moruroa e Tatu rapportait ainsi ses propos, tenus en septembre 2002 à la presse locale : "il n’y aura pas d’effet sur la santé, à court terme comme à long terme", et "il n’y a pas non plus d’effets à craindre sur le biotope". "D’ailleurs, aucune surveillance radiologique et géomécanique des atolls à des fins de protection radiologique n’a été jugée utile", même si la France va tout de même continuer à assurer une "surveillance" sur les sites. De même, le suivi médical des personnels concernés n’a "pas permis de déceler des expositions aux rayonnements ionisants s’écartant de la radioactivité naturelle", affirmait alors le chef de l’Etat français - responsable, il est vrai, de la reprise des essais nucléaires sitôt après son élection en 1995.

A présent, l’actuel ministre de la Défense reconnaît que 150 000 personnes pourraient avoir été concernées par les effets de ces radiations et demander réparation.

Toutefois, pour bénéficier d’une indemnisation éventuelle, les victimes, ou leurs familles lorsque les victimes sont décédées, devront instruire un dossier prouvant leur présence sur les lieux des essais. Ceux-ci seront apparemment limités aux seuls essais aériens que l’armée reconnaît comme litigieux.

Rappelons que la France a officiellement procédé à 210 essais atomiques, 17 au Sahara de 1960 à 1966 dont les 4 premiers aériens + un souterrain devenu malencontreusement aérien ("Beryl"), et 193 au Centre d’Expérimentation du Pacifique (C.E.P.) de 1966 à 1996, dont 46 aériens de 1966 à 1974, puis 147 souterrains.

On notera toutefois que la première explosion atmosphérique revendiquée par la France, "Gerboise Bleue", qui eut lieu au Sahara le 13 février 1960 et valut ce télégramme de victoire du général de Gaulle : "Hourra pour la France !", pourrait avoir été précédée d’un ou plusieurs essais non déclarés au Sahara, fin 1959.

Les essais aériens ont été tirés soit sur des pylônes, soit à partir d’avions, de ballons ou de barges, et ceux effectués par le C.E.P. se sont étendus sur une vaste région, incluant l’archipel des Gambier et celui des Tuamotou. Les essais souterrains ont eu lieu au fond de puits ou sous les lagons des atolls de Moruroa ("Moruroa" selon la prononciation et la graphie locale, "Mururoa" étant la graphie officielle, militaire et administrative) et de Fangataufa.

Avec 50 essais aériens déclarés et en fait 51 ayant entraîné à coup sûr des retombées radioactives, la France a contribué pour près de 10 % aux quelque 540 essais aériens de toutes les puissances nucléaires. Mais dans la plupart des cas, leurs retombées radioactives ont été considérées comme négligeables.

Il convient pourtant de préciser que les matières radioactives qui ne retombent pas rapidement sur place ou à proximité des lieux de tirs circulent dans la haute atmosphère pendant des années et retombent ailleurs un jour ou l’autre. Les matières radioactives laissées dans le sous-sol, quant à elles, finissent par contaminer les nappes phréatiques ou les océans, et par suite la chaîne alimentaire. Et il faut ajouter qu’il n’existe pas de seuil minimal d’exposition à une dose de radioactivité, pour que celle-ci devienne "dangereuse". C’est, en fait, la planète entière qui a été contaminée par les essais militaires des puissances nucléaires (au total, plus de 2500) - et qui continue à l’être par le nucléaire civil et militaire.

Lucien Parfait est l’une des victimes militaires ayant porté plainte. Il était appelé du contingent au moment de "Gerboise Bleue". Il était présent sur les lieux, à 500 mètres du "point zéro" le 1er mai 1962, lorsque l’essai souterrain d’In Ekker baptisé "Beryl" a mal tourné, provoquant un immense nuage de poussières radioactives qui a atteint une bonne partie des assisants (y compris le ministre de la Recherche, décédé plus tard d’une leucémie qu’il attribuait à cet accident).

Depuis, Lucien Parfait est passé une trentaine fois sur la table d’opération. Il faut lire son témoignage, récemment rapporté par France-Soir, pour comprendre son calvaire. Aucune indemnité ne pourra lui faire oublier, pas plus qu’à ses camarades et à leurs familles, toutes les souffrances endurées "pour la France".

Quant aux populations civiles de Tahiti, des Gambier et des Tuamotu, à en juger par les conclusions minimalistes du rapport remis le 2 octobre 2006 à Mme Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, par M. Marcel Jurien de la Gravière, Délégué à la sûreté nucléaire de défense, il semble qu’elles auront bien du mal à faire valoir les atteintes portées à leur santé ou à leur vie. Ce sera encore moins facile pour les Touaregs du Sahara.

Mais le ministre Hervé Morin a d’ores et déjà prévu un nombre très restreint d’indemnisations, comme le confirme le montant de l’enveloppe globale, dérisoire au regard des besoins. En l’état actuel de son projet de loi, il se réserve le dernier mot pour chaque indemnisation proposée par la future Commission d’attribution. D’après lui, "quelques centaines" de victimes pourraient y avoir droit. C’est en réalité par milliers ou dizaines de milliers qu’elles devraient se compter. D’après Michel Vergès, président de l’Association des Victimes des Essais Nucléaires, à elle seule l’AVEN compte parmi ses membres 800 veuves de vétérans des essais, déjà décédés.

Pour pouvoir honorer cette tardive "reconnaisssance de dette" de la France, le projet de loi du ministre devra être sérieusement amendé par les parlementaires français. La simple justice exigerait d’alourdir considérablement la facture.

ACDN, le 24 mars 2009

Voir la dépêche de l’AFP


ⓒACDN, 24 mars 2009.

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