Lundi 27 août 2007, devant la conférence des ambassadeurs réunis à Paris, le président de la République Nicolas Sarkozy a déclaré : "Un Iran doté de l’arme nucléaire est pour moi inacceptable, et je pèse mes mots". Cette crise autour du programme nucléaire iranien est "sans doute la plus grave qui pèse aujourd’hui sur l’ordre international", a-t-il ajouté. "La France n’épargnera aucun effort pour convaincre l’Iran qu’il aurait beaucoup à gagner en s’engageant dans une négociation sérieuse avec les Européens, les Chinois et les Russes, et bien sûr les Américains". La France a une "entière détermination dans la démarche actuelle, alliant sanctions croissantes mais aussi ouverture si l’Iran fait le choix de respecter ses obligations... Cette démarche est la seule qui puisse nous permettre d’échapper à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran".
Le président de la République semble ignorer que l’Iran a fait le 13 juillet dernier un geste majeur, salué comme tel -selon la BBC- par l’ONU : il a accepté la reprise des inspections de l’AIEA, en commençant par l’une de ses installations nucléaires les plus sensibles, le réacteur à eau lourde d’Arak. Mohammed ElBaradei, directeur de l’AIEA, déclarait alors que "des accords comme celui-ci sont un moyen de dénouer la crise diplomatique permanente autour de l’Iran". Cet accord a été respecté dans les délais prévus : une inspection du site a bien eu lieu le 30 juillet, durant cinq heures.
Il est vrai que la presse française, pourtant prompte à annoncer le moindre geste iranien lorsqu’il a des allures de provocation, n’en a quasiment soufflé mot. Mais les ambassadeurs et le ministre des affaires étrangères l’ignoraient-ils, eux aussi ? Auraient-ils oublié d’en parler au président de la République ? Les services de renseignement aussi ? Le président Bush n’en aurait-il pas parlé au président Sarkozy, lorsqu’ils ont pique-niqué ensemble le 11 août ? Entre deux merguez, n’aurait-il fait que justifier un bombardement de l’Iran ? Serait-il aussi "mal informé" à propos de l’Iran qu’il a prétendu l’être à propos de l’Irak ?
Pour s’informer, Nicolas Sarkozy, George W. Bush, leurs services diplomatiques et leurs agences de renseignement, sans parler de la presse française et américaine, devraient se mettre à l’écoute de la BBC... ou visiter régulièrement le site d’ACDN www.acdn.net. Cela leur aurait permis par exemple de lire le 2 août :
Nucléaire iranien : solution en vue... et personne n’en parle !
A moins peut-être que ces silences ne soient délibérés, et qu’un Iran réfractaire aux injonctions occidentales, donc "bombardable", leur convienne mieux ? A ce compte, la France est, elle aussi, "bombardable" : avec Nicolas Sarkozy comme avec ses prédécesseurs, elle refuse d’appliquer l’article 6 du Traité de Non Prolifération, elle a donc "fait le choix de NE PAS respecter ses obligations" d’après le TNP.
Passant sous silence cette monumentale contradiction en même temps que l’accord du 13 juillet entre l’Iran et l’AIEA, accord qu’il aurait dû saluer puisqu’il prétend privilégier la voie diplomatique, Nicolas Sarkozy nous place pour finir devant l’alternative : "la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran". Mais si "un Iran doté de l’arme nucléaire est pour (lui) inacceptable", et si l’Iran, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, est considéré comme coupable de ce dont on le soupçonne, alors, inéluctablement, Nicolas Sarkozy apportera le soutien de la France à une nouvelle aventure militaire au Proche-Orient, si Washington (ou Tel Aviv) devait en décider ainsi. Sur ce point, la rupture avec Jacques Chirac est consommée. Elle ne l’est pourtant pas en matière d’exportations nucléaires : de même que Jacques Chirac a vendu à Saddam Hussein, en 1975, le réacteur "Osirak" qui appela le bombardement israélien de juin 1981 puis la "guerre du Golfe" de 1991, Nicolas Sarkozy promet à un sympathique dictateur nommé Kadhafi, et au-delà de lui, à tout le monde musulman excepté l’Iran, la technologie nucléaire jugée dangereuse entre les seules mains des mollahs iraniens.
Dans ces conditions, peut-on sérieusement dire que le président Sarkozy souhaite éviter la catastrophe ? Non, il la prépare doublement, et il nous y prépare.
Mais qu’en pense l’opposition parlementaire - si opposition il y a encore ? Qu’en penseront les Français quand ils découvriront qu’on les a désinformés, manipulés, et que la tartuferie de la France, qui s’autorise ce qu’elle interdit aux autres, est le plus sûr agent de prolifération nucléaire et de guerres en chaîne dites "préventives", c’est-à-dire chargées de prévenir les effets du mal qu’on a soi-même suscité ?
En vérité, la seule démarche "qui puisse nous permettre d’échapper à une alternative catastrophique", c’est d’une part que la France et les autres Etats dotés d’armes nucléaires mettent en oeuvre, enfin, l’engagement solennel d’éliminer leurs propres armes, qu’ils ont pris en signant le TNP ; c’est d’autre part que la France cesse de semer à tout vent et à tout va les moyens "civils" de se procurer de telles armes.
La seule solution pour sauver la planète, c’est sa dénucléarisation. C’est de décider sans tarder plus longtemps la sortie du nucléaire, militaire et civil.
Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire, le 30 août 2007