Coup sur coup, deux lois organisent un contrôle de la sûreté sur mesure. Et un traitement des déchets mitonné aux petits neutrons.
AMBIANCE radioactive au Parlement.
Le 30 mars, l’Assemblée a adopté, en première lecture, la loi sur la "transparence et sécurité en matière nucléaire". Et cette semaine, à partir du 6 avril, elle s’attaque à un texte sur la "gestion des matières et des déchets radioactifs". Dans les deux cas, le gouverneent a invoqué l’urgence. Avant d’y renoncer pour le premier. Quelle mouche, ou plutôt quel neutron a piqué le gouvernement pour agir ausi vite ?
Explication d’un député : le lobby nucléaire a poussé tous ses feux afin d’obtenir un vote avant la fin de la législature. Car ces nouvelles lois, tout habillées de vert, et présentées comme furieusement écolos, font en réalité la joie de l’industrie nucléaire et de notre électricien national. Pour l’essentiel, le texte voté par l’Assemblée crée un nouvel organisme indépendant, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui devient le gendarme de l’atome, disposant de pouvoirs d’inspection , de contrôle et d’injonction. Cette "autorité" sera dirigée par cinq membres, désignés, pour trois d’entre eux (dont le président), par le chf de l’Etat, les deux autres par les présidents de l’Assemblée et du Sénat. Avec un mandat de six ans non rennouvelable, voilà un aréopage estampillé libre de toute influence.
Voire ! Si elle est constituée dans les mois qui viennent, l’autorité aura été entièrement composée par la droite. Et sera indéboulonnable avant 2012. Or les prochaines années seront décisives pour la relance de la filière électronucléaire. L’angoisse d’EDF, d’Areva et de sa maison mère, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), est de voir arriver, à l’occasion des prochaines échéances électorales, un nouveau gouvernement socialo-écolo qui pourrait contrarier leurs grandioses ambitions. D’où le forcing de ce puissant lobby pour obtenir le vote rapide d’une loi en apparence destinée à améliorer les contrôles et la sûreté.
Autre sujet de satisfaction pour l’industrie nucléaire, les membres de la future Autorité seront nommés, dit la loi, en raison de "leur compétence dans les domaines de la sûreté et de la radioprotection". Et qui, en France, possède ce genre de compétences ? Les ingénieurs des Mines, naturellement, qui ont fait toute leur carrière au CEA, à EDF ou à Areva. Et dont les petits camarades de l’Ecole polytechnique exercent leurs talents chez les mêmes. Garantie d’une bonne compréhension mutuelle. Et à l’abris des aléas stupides de la démocratie.
Enfouissement du problème
La seconde loi soumise au Parlement est tout aussi "urgente". Sa discussion était programmée depuis quinze ans ! En 1991, députés et sénateurs avaient décidé de lancer une série de recherches afin de pouvoir choisir, en 2006, la meilleure solution pour l’empoisonnant problème des déchets nucléaires. Cette loi, dite "loi Bataille", du nom du député qui en fut le promoteur, envisageait trois axes de recherches.
D’abord, la séparation et la transmutation des déchets les plus radiotoxiques. Ce rêve de la transmutation, c’est un peu le Saint-Graal de la physique nucléaire. Il s’agit de bombarder de neutrons les déchets les plus virulents pour les transformer en matières inoffensives, ou presque. Quinze ans et 724 millions d’euros plus tard, le CEA, chargé de ce volet, est en mesure de dire aux députés ce que l’on soupçonnait fortement. La transmutation est techniquement possible. Mais à un coût prohibitif. Et il restera toujours une part de déchets non "transmutés" qu’il faudra stocker... Exit, donc, la transmutation, sur laquelle le CEA est tout de même invité à poursuivre les recherches. Et retour à la case stockage.
Deux autres "axes" étaient envisagés par la loi Bataille. L’entreposage en subsurface et l’enfouissement en profondeur. L’idée de déposer les containers de déchets et de les surveiller, en attendant de savoir ce qu’on en fera, a séduit, par exemple, les Etats-Unis. Mais l’attente risque d’être longue puisque certaines de ces gâteries crachent des rayons pendant un million d’années ! C’est, en toute hypothèse, une filière qui doit être utilisée pour les déchets encore "frais" et dégageant trop de chaleur pour être traités autrement. Le rapport des chercheurs, qui ont englouti 614 millions d’euros en planchant sur l’entreposage en surface, conclut que cette solution ne peut être que provisoire. Disons quelques centaines d’années tout au plus.
Reste donc l’enfouissement en profondeur. Il y a quinze ans, l’industrie nucléaire marquait déjà sa nette préférence pour cete solution. Heureux hasard, c’est celle qui est retenue par la nouvelle loi. Le laboratoire d’enfouissement de Bure, dans la Meuse, ne sera plus seulement un "laboratoire", mais se voit élevé au grade et à la dignité de "centre de stockage en couche profonde". Et ce au terme d’un programme de recherches qui constitue l’une des meilleures farces que nous ait réservées l’industrie nucléaire. La loi Bataille prévoyait d’expérimenter le stockage dans divers lieux, et diverses roches. Pour comparer et choisir. Près de 900 millions d’euros ont été consacrés à ce programme, mais un seul site, celui de Bure, a été construit. Ce qui conduit les députés à choisir entre Bure et Bure.
Que croyez-vous qu’il arrivera ? Le parlement va, en toute liberté, choisir Bure. Ce qui fera plaisir aux industriels de la filière nucléaire, qui auront la "solution" officielle au problème insoluble des déchets. Et aussi au secteur du BTP : le creusement et l’aménagement du laboratoire -pardon, du centre d’enfouissement- de Bure représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros. Tout ce monde irradie de bonheur.